Introduction

Pour rappel, la Société belge d’Investissement pour les Pays en Développement (BIO) a pour mission de soutenir le développement du secteur privé dans les pays partenaires de la coopération belge au développement. Ainsi, cette banque de développement de l’état belge investit via des fonds de placement et d’investisseurs dans des entreprises dans les pays en développement et émergents.

Les investissements de la banque BIO dans certains projets ont été épinglés par la société civile en raison de l’impact néfaste de ces derniers sur l’environnement mais également sur les droits humains des populations concernées par les projets financés. Ainsi, je vous avais parlé à plusieurs reprises de l’investissement de BIO dans Feronia (une entreprise canadienne ayant racheté des terrains de palmiers à huile en République Démocratique du Congo à Unilever) ici ou encore ici.

Cette année encore, un projet financé en partie par la banque BIO a été épinglé dans une étude menée par le CETRI et Entraide & Fraternité. Il s’agit d’un projet d’agriculture industrielle à grande échelle mené par l’entreprise Jatropha Technology Farm (JTF), filiale du groupe Tozzi Green, dans la région d’Ihorombe à Madagascar et pour lequel BIO a apporté son soutien financier.

Qu’est-ce que JTF-Tozzi Green ?

Tozzi Green est un groupe spécialisé dans les énergies renouvelables, également actif dans le domaine de l’agrobusiness à Madagascar via sa filiale Jatropha Technology Farm (JTF) depuis une dizaine d’années.

Les activités de JTF-Tozzi Green à Madagascar soulèvent des problèmes pointés déjà en mai 2022 par le CNCD-11.11.11, à savoir leur impact négatif sur le droit à la terre, leur impact négatif sur les systèmes alimentaires locaux en raison du recours à l’agriculture mécanisée et enfin, les conflits fonciers générés par les projet de JTF avec éleveurs et populations locales.

L’investissement de BIO

Pour soutenir l’action de JTF-Tozzi Green, la Banque BIO a accordé un prêt de 3,75 millions d’euros à JTF en 2019. BIO a également octroyé deux subventions à l’entreprise pour un total de 75 000 euros en 2019 et 2020, devant servir à la création d’un système de planification des ressources adapté aux besoins de l’entreprise et à la réalisation d’une étude pour permettre à JTF-TG

BIO justifie son investissement dans JTF-Tozzi Green par la nécessité d’intensifier la production agricole nationale de maïs et de soja en particulier afin de réduire les importations, «   d’augmenter la productivité et renforcer la sécurité alimentaire  » et d’améliorer «  la durabilité des processus d’extraction des huiles essentielles  » dans un pays «  qui manque actuellement de technologies agricoles modernes  ».1

Pourquoi l’investissement dans ce projet d’agriculture est problématique ?

Ce projet d’agriculture, soulève l’étude, est problématique pour quatre raisons :

1) Tromperie et intimidation de la population

Dans le cadre de l’acquisition des terres à Madagascar, une obligation légale de consentement de la population locale existe. Ainsi, l’étude révèle que lors des consultation de la population locale, JTF a usé de tromperie et d’intimidation pour l’acquisition des terres : les consultations avaient souvent un caractère biaisé peu inclusif avec une communication partielle de l’information sur aux communautés concernées, la tenue de réunions sur sur la délimitation des terrains avec un nombre restreint de personnes. Dans le cadre de ces consultations toujours, l’accent était surtout mis sur des promesses en termes d’emplois, d’infrastructure et de développement, comme moyen de convaincre les autorités locales une partie de la population.

Il est également fait état de répression toute opposition au projet d’agriculture par JTF, avec l’aide des autorités au moyen de tromperies et d’autres moyens de pression (promesses de contreparties, individuelles ou collectives, paiement en nature ou en argent).

2) Des promesses d’emploi non tenues

JTF avait fait miroiter aux autorités et populations locales, la création de nombreux postes de travail dans la région. Or dans les faits, la majorité des personnes employées par JTF sont des journaliers, payés à la tâche ou à la journée, sous le seuil de pauvreté malgache. Seules quelques dizaines de personnes disposant de contrats permanents. De plus, alors que JTF affirme avoir créé près de 1500 emplois directs et indirects dans la région, pourtant l’étude constate que les personnes employées étaient principalement des cadres européens ou des Malgaches issus des grandes villes du pays.

3) Des problèmes concernant les infrastructures promises

D’après l’étude, JTF promettait également la construction d’infrastructures comme moyen de négociation d’acquisition des terres comme la construction de guichets fonciers communaux et autres bâtiments administratifs, d’écoles etc. Pourtant, il est souligné que certaines personnes sur place estimaient que les promesses de JTF-TG en matière d’infrastructure n’ont pas été tenues, tardaient à être réalisées ou étaient insuffisantes ou pas opérationnelles.

4) Menace sur la sécurité alimentaire

Les activités de l’entreprise ont également eu pour effet de limiter l’accès de plusieurs villages aux ressources productives comme la terre ou encore l’eau. En effet, Le projet JTF présente une menace pour la sécurité alimentaire en raison du choix de production d’aliments pour animaux ou huiles essentielles pour l’exportation ou du détournement de l’eau de la région pour les cultures vivrières opérés par l’entreprise.

5) Manque de cohérence avec la politique de coopération au développement belge

Enfin, l’étude souligne également la contradiction manifeste entre cet investissement de BIO et les priorités de la Ministre de la coopération au développement orientées vers l’agriculture à petite échelle et la sécurité alimentaire.

L’étude complète est disponible ici : https://www.cetri.be/Madagascar-l-agrobusiness-contre-l-6039

Mon travail parlementaire sur cette question

En raison des problématiques soulevées par le projet JTF-Tozzi Green, j’ai ai débattu directement avec la BIO lors d’un échange de vues à la Chambre l’an passé en juillet. J’ai également interrogé à trois reprises la Ministre de la Coopération à la Culture, Meryam Kitir aujourd’hui remplacée par Caroline Gennez.

En juin 2022, j’ai interrogé la Ministre sur l’exécution du remboursement du prêt par JTF et leurs échéances, j’ai également demandé à la ministre si un financement ultérieur de JTF était envisagé ainsi que des informations sur l’étude de diligence raisonnable menée par BIO pour combler les manquements de l’étude faite par JTF lors de l’acquisition des terres..

En ce début d’année 2023, j’ai réinterrogé la Ministre oralement en commission sur le même sujet mais aussi par écrit, sur les salaires minimums payés aux journaliers, et des différences entre les traitements salariaux en fonction du genre ainsi que sur les intrants chimiques utilisés sur le territoire malgache ou encore sur les résultats de contrôle de la qualité des eaux de surface et l’impact des intrants et écoulements dans l’eau. Je vous partagerai la réponse de la Ministre une fois que celle-ci sera me sera parvenue.

Affaire à suivre donc !