Ce 9 mai, les Philippins se rendent aux urnes pour élire leur président ainsi qu’un large éventail de représentants locaux et nationaux. Au total, plus de 16 500 postes sont à pourvoir avec environ 82 000 candidats et candidates. Avec une population d’environ 112,5 millions d’habitants, les Philippines sont la septième plus grande nation «démocratique» du monde et choisissent leurs élus, sur base du suffrage universel, depuis le renversement de la dictature de Ferdinand Marcos en 1986.
Des profils qui suscitent des craintes
L‘un des principaux candidats à la présidence, Ferdinand « Bongbong » Marcos Jr., est le fils de l’ancien dictateur renversé Marcos Sr. qui a dirigé une dictature militaire de 14 ans ayant conduit à des violations généralisées des droits humains : 3 257 exécutions extrajudiciaires connues ; 35 000 tortures documentées ; 77 « disparus » ; et 70 000 incarcérations. Autrefois, la famille Marcos détenait le record du monde Guinness du plus grand vol d’un gouvernement – le vol a été estimé à 10 milliards de dollars américains, dont seule une petite partie a été récupérée.
Par ailleurs, la colistière de Bongbong et candidate à la vice-présidence, Sara Duterte, n’est autre que la fille du président Rodrigo Duterte, le président qui a mené des guerres brutales contre la drogue, la dissidence et les peuples autochtones et Moro et plus largement sur les défenseurs des droits humains (en ce compris des journalistes, des avocats et des juges). Au cours de son mandat de six ans, 30 000 personnes au moins, ont été tuées.
Petit rappel du contexte actuel
Les Philippines est un des pays où on décompte le plus d’assassinats extra-judiciaires au monde depuis plusieurs décénies. Le président Duterte lui-même encourage les exécutions extrajudiciaires, appelant à plusieurs reprises au meurtre de « personnalités de la drogue » et exhortant la police et l’armée à tuer tous les « rebelles communistes » et à « oublier les droits humains ». Le groupe de travail national de Duterte pour mettre fin au conflit armé communiste local (NTF-ELCAC) et la loi anti-terroriste institutionnalisent, légitiment et augmentent la pratique du « marquage rouge », ou « red-tagging » – étiquetant les civils et les groupes non armés comme membres, partisans ou affiliés du Parti communiste des Philippines et la nouvelle armée populaire. Il s’agit d’une véritable terreur d’État pour réprimer la dissidence, se traduisant souvent par des exécutions extrajudiciaires de défenseurs des droits humains (y compris environnementaux). Sous le NTF-ELCAC, l’ensemble de l’appareil étatique (y compris le pouvoir judiciaire, l’armée et la police, les départements de l’éducation, des services sociaux et du gouvernement local) a été mobilisé pour cette guerre contre la dissidence.
En raison des violations généralisées des droits humains ces six dernières années, Duterte fait l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale, mais n’a pas encore été tenu responsable de ses actes. C’est le reflet de décennies d’impunité aux Philippines.
Tant la Haute Commissaire des Nations-Unies aux droits humains, que le Parlement européen ainsi que des organisations internationales comme Amnesty International ou l’ICHRP (International Coalition for Human Rights in the Philippines) ont pointé du doigt les abus et l’impunité qui règnent aux Philippines.
Comme indiqué dans les rapports Investigate PH de 2021 du ICHRP, les recours internes pour remédier aux violations des droits humains sous le gouvernement philippin sont non seulement inadéquats, mais le régime Duterte a activement orchestré ces violations.
La société civile craint, à juste titre, qu’une victoire du binôme Marcos-Duterte continue de fournir une couverture juridique et législative aux violations des droits humains et aux crimes contre l’humanité.
Une mission d’observation
On le comprend, les élections sont donc une étape importante vers plus de démocratie et moins d’impunité. Pourtant, elles se déroulent dans un climat de violence encore inégalé.
Face aux craintes légitimes de violences et exactions durant la campagne, la société civile, à l’initiative de l’ICHRP, a mis en place une Mission d’Observation des Élections. Les observateurs font état d’agents électoraux tués et arrêtés, de fusillades lors du rassemblement électoral d’un candidat, de campagnes publiques de diffamation menées par des agents militaires, contre les défenseurs des droits humains et des « red tagging » continus contre des candidats et des listes de partis opposants. Ces observations mettent en lumière, sans équivoque, une large répression des droits collectifs du peuple philippin à la paix, au développement et à l’autodétermination.
Mon travail
Comme on le sait, la situation aux Philippines attire peu l’intérêt médiatique et politique en Belgique. Depuis mon arrivée au parlement, j’essaie néanmoins mettre les exactions de Duterte à l’agenda. En voici quelques échos ici ou encore ici.
Dans le cadre de ces élections, j’ai à nouveau posé une question à la Ministre des affaires étrangères pour savoir quelle est l’implication de la diplomatie belge dans le processus d’observation des élections, et connaître son analyse de la situation. J’attends encore à ce stade la réponse.
Par ailleurs, je suis membre de la Commission de soutien à la Mission d’observation des Elections aux Philippines de l’ICHRP. A ce titre, je soutiens la parution des rapports d’observation. https://ichrp.net/iom/
Pour finir
Les élections ont donc lieu le 9 mai et la légitimité de ses résultats sera déterminante sur la capacité de Philippines à avancer sur le chemin de la restauration de la démocratie et des droits humains. Ce qui est sûr, c’est qu’après ces élections, le peuple philippin aura besoin d’un soutien international renforcé, pour espérer construire une nouvelle ère.