La situation aux Philippines reste très préoccupante !

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 Petit rétroacte

Lors de la 44ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, la Haute Commissionnaire Michelle Bachelet a relayé les violations systématiques des droits humains aux Philippines et a souligné l’impunité totale de ces violations. Elle a aussi souligné la rhétorique persistante des autorités qui incite à la violence vis-à-vis des femmes, de la société civile, des défenseurs des droits humains, etc.

Début juillet, le Président Duterte a signé un « Anti-Terror Act » qui ouvre la voie à de nouvelles limitations et pressions vis-à-vis des défenseurs des droits humains. Par ailleurs, rien que durant l’été 2020, de nouveaux assassinats de défenseurs des droits humains ont eu lieu.

Du 14 septembre au 6 octobre s’est tenue la 45e sessions du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. La société civile et le parlement européen, par sa Résolution du 17 septembre 2020, appelaient le Conseil à mettre en place un mécanisme d’enquête indépendant et impartial sur les exécutions extrajudiciaires et les violations des droits de l’homme aux Philippines.

Interpellation de la Ministre des affaires étrangères en décembre

Sur base des nouveaux éléments, j’ai interpellé Madame Wilmès à l’automne 2020.

Je lui ai rappelé que depuis le 25 décembre 2014, les Philippines bénéficient de préférences commerciales renforcées dans le cadre du système de préférences généralisées de l’Union Européenne alors que ce statut dépend de la ratification et de la mise en œuvre de 27 conventions internationales sur les droits de l’homme et le droit du travail, la protection de l’environnement et la bonne gouvernance. Dans ce cadre, en 2019, 25 % du total des exportations philippines vers l’Union (près de 2 milliards d’euros) ont bénéficié d’un traitement préférentiel.

Je l’ai donc interrogée afin de savoir ce que la Belgique a pu mener ces derniers mois pour faire pression sur les autorités philippines et si la Belgique va soutenir le déclenchement du mécanisme qui pourrait conduire à la suspension des avantages commerciaux dont les Philippines bénéficient au niveau européen ?

La Ministre m’a répondu que depuis quelques mois, elle notait une posture constructive de la part des autorités philippines, de même que dans le discours du président Duterte à l’Assemblée générale des Nations Unies. Les Philippines se sont engagées dans les négociations dont le résultat a été une résolution qui représente un compromis pour tous. Bien que la Belgique ait plaidé en ce sens, ils ne sont pas arrivés à un accord visant à effectuer une enquête internationale du pays en question. Le Belgique a donc décidé de ne pas coparrainer cette résolution. La Ministre a toutefois rappelé que certaines personnalités philippines étaient en procédure d’examen par la Cour Pénale Internationale. Elle s’est par ailleurs engagée à entamer les discussions dans ses rapports bilatéraux avec les Philippines au sein des institutions de l’UE.

Bien que le Président Duterte se soit engagé dans les négociations d’une résolution mettant son pays en cause, j’estime que la réponse à donner doit aller plus loin et que la Belgique doit réellement condamner ses pratiques de manière officielle.

Depuis, les assassinats de militants se poursuivent

Au moins un nouveau massacre a eu lieu. Le 7 mars, 5 personnes actives dans la défense des droits humains ont été assassinées et 9 arrêtées. Deux jours avant, le Président Duterte déclarait à un meeting de la « task force nationale pour mettre fin au conflit armé avec les communistes » : « kill, kill them, I don’t mind human rights ».

Ces derniers évènements contribuent à démontrer que le Président Duterte ne semble pas vouloir changer de stratégie vis-à-vis de ses opposants (red-tagging, intimidation, assassinats extrajudiciaires). Cela démontre également que les propos des autorités philippines tenus lors des dernières réunions du Conseil des Nations Unies pour les droits de l’homme, visant à considérer que les « domestic accountability mechanisms » fonctionnent comme ils le devraient, ne peuvent être pris au sérieux.

La société civile s’organise

Par ailleurs, suite à la résolution 45/33 des Nations-Unies prise lors de la 45e session du Conseil des droits de l’homme et perçue comme décevante par la société civile, une commission internationale indépendante avec pour mission de mener une enquête sur la violation des droits humains aux Philippines a été mise en place (menée par la Coalition internationale pour les droits humains aux Philippines – ICHRP). Cette commission (InvestigatePH) a remis son rapport le 15 mars, dans lequel il est mis en avant que les violations des droits humains aux Philippines se sont encore intensifiées depuis le rapport  de la Haute Commissaire aux droit humains des Nations-Unies de juin 2020 et de la Résolution d’octobre 2020. Le rapport formule plusieurs recommandations, notamment aux ministres des Affaires étrangères.

Lien vers le rapport

Un nouvel échange avec la Ministre des Affaires étrangères en avril 2021

Sur base des nouveaux massacres et du rapport de la commission d’enquête de la société civile, je me suis à nouveau tournée vers la Ministre pour lui demander dans quelles mesures ces derniers évènements meurtriers font bouger les lignes de la diplomatie belge et européenne et comment celle-ci accueille les recommandations du rapport de InvstigatePH.

La Ministre m’a répondu que la délégation locale de l’UE saluait l’annonce des autorités philippines d’ouvrir une enquête sur ces meurtres par un Comité extrajudiciaire, tout en leur rappelant leurs obligations internationales et leur engagement de protection des défenseurs des droits humains. Elle a par ailleurs rappelé, à l’instar de sa réponse à ma question d’automne, que la Belgique continuait à soutenir le dossier dans ses rapports bilatéraux avec les Philippines.

A cela, j’ai répliqué que selon moi, un président comme cela ne mérite en aucun cas notre confiance, ni notre optimisme et que nous sommes manifestement face à un président qui n’écoute rien ni personne. Qu’en outre, les Philippines sont représentatives d’une situation de « shrinking place » pour la société civile. J’ai pu souligner également que nos ONG belges payaient chaque jour cette situation. Enfin, j’ai rappelé que je travaillais auparavant dans le secteur des ONG, notamment avec un partenariat aux Philippines, durement impacté par la répression des mouvements sociaux. M. Benjamin Ramos, le coordinateur de l’ONG partenaire, avocat défenseur des droits humains, a été assassiné au mois de novembre 2018 et il n’y a toujours aucune trace d’enquête. J’ai clôturé en demandant à la Ministre de poursuivre son travail diplomatique et de considérer de changer de stratégie.