Les néonicotinoïdes sont une famille de pesticides (insecticides) agissant sur le système nerveux central des insectes. Les néonicotinoïdes sont transportés dans tous les tissus de la plante et peuvent y rester durant toute sa vie.
Ils sont utilisés sous forme de produits phytopharmaceutiques (utilisés en pulvérisation, en traitement des sols et en enrobage des semences) et de biocides.
Il s’agit de la classe d’insecticides la plus utilisée dans le monde.
Leurs impacts sont divers
Sur la mortalité des abeilles:
On le sait, tant en Europe qu’en Belgique (et dans le monde), les populations de pollinisateurs sont en déclin.
Les causes de la mortalité des abeilles sont bien sûr diverses : les changements d’affectation des sols pour l’agriculture ou l’urbanisation (qui entraînent la perte et la dégradation des habitats naturels), l’agriculture intensive (qui contribue à l’uniformisation des paysages et à la disparition de la diversité de la flore, ce qui réduit les ressources en nourriture et en nidification de ces espèces), les espèces exotiques envahissantes (telles que le frelon à pattes jaunes), le changement climatique (qui entraîne une hausse des températures ainsi que des phénomènes météorologiques extrêmes qui impactent les pollinisateurs). Mais il est évident que les pesticides et autres polluants peuvent également affecter les pollinisateurs tant directement (insecticides et fongicides) qu’indirectement (herbicides).
Sur notre sécurité alimentaire :
Moins ou plus de pollinisateurs, cela veut dire moins de nourriture! 84 % des espèces cultivées en Europe (4 champs sur 5) dépendent des insectes pour la production de semences. On estime que la production agricole annuelle directement attribuée aux pollinisateurs représentent 15 milliards d’euros en Europe (source: https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20191129STO67758/pourquoi-les-abeilles-et-autres-pollinisateurs-sont-en-declin-infographie)
A l’échelle mondiale, plus de 75 % des cultures vivrières dépendent de la pollinisation animale. L’apport des pollinisateurs aux principales cultures mondiales est estimé à 150 milliards d’euros, soit 9,5 % de la production alimentaire mondiale.
Sur les écosystèmes :
On retrouve les néonicotinoïdes partout : dans le corps des oiseaux et des poissons, mais aussi dans les eaux de surfaces.
Mais aussi sur la santé humaine :
Depuis 2013, l’EFSA évalue un lien potentiel entre deux néonicotinoïdes et la neurotoxicité développementale : « l’acétamipride et l’imidaclopride peuvent affecter de façon défavorable le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l’apprentissage et la mémoire ».
Source : agence européenne de sécurité alimentaire, en 2013, https://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/131217
Plusieurs autres études montrent la toxicité neurologique, perturbation endocrinienne, génotoxicité et cancérogénicité des néonicotinoïdes.
Il n’existe pas d’étude épidémiologique concernant une toxicité par exposition chronique aux néonicotinoïdes. Cela est surprenant lorsqu’on sait qu’un tiers des insecticides vendus dans le monde sont des néonicotinoïdes. Néanmoins, des publications récentes font apparaître les risques d’effets chroniques des néonicotinoïdes pour la santé humaine, à travers des études sur l’animal ou sur des cultures de cellules humaines.
Source : https://studylibfr.com/doc/3180421/n%C3%A9onicotino%C3%AFdes-et-impacts-sur-la-sant%C3%A9
Interdiction européenne
Depuis 2018, plusieurs néonicotinoïdes sont (partiellement) interdits d’usage au niveau européen.
L’usage phytopharmaceutique de la clothianidine, du thiaméthoxame et du thiaclopride (approuvés jusqu’au 31/01/2019, 30/04/2019 et 03/02/2020 respectivement), sont maintenant interdits.
Par contre, l’usage phyto de l’imidaclopride et de l’acétamipride sont encore autorisés mais de façon limitée : l’usage de l’imidaclopride est
limité aux applications sous serre, et l’usage de l’acétamipride est toujours autorisé sous protection ou en plein air, mais pas pendant la floraison de la culture ou de « mauvaises herbes », pour limiter l’exposition des abeilles. Une distance des eaux de surface doit être maintenue pour protéger les organismes aquatiques. La dose et la fréquence d’application sont, comme pour tous les produits phytopharmaceutiques, toujours limitées.
Sous forme de biocides, tous ces produits restent autorisés au niveau européen. L’imidaclopride, la clothianidine, le thiaméthoxame et l’acétamipride ne sont autorisés que pour les applications contre les insectes qui n’endommagent pas les plantes vivantes (domestiques), comme les fourmis, les mouches et les cafards.
Mais il peut y avoir des dérogations…
La possibilité du recours à des dérogations pour utiliser certains produits phytopharmaceutiques est prévue par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.
Ces dérogations peuvent-être données sur base de critères qui doivent-être démontrés. Les dérogations seront octroyées pour autant qu’il soit attesté qu’il existe des « circonstances particulières » justifiant la dérogation d’une part, et que le risque ne puisse « être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ».
D’année en année, la Belgique octroie des autorisations d’usage de ces substances sur base de ce mécanisme de dérogations. Cela a été le cas à trois reprises : 2019, 2020, 2021, chaque fois pour la culture de betteraves (j’y reviens plus bas).
Les régions responsables des restrictions d’usage
La législation belge précise que le fédéral est responsable des restrictions de mise sur le marché, et les régions de restrictions d’usage.
Notons qu’à Bruxelles, depuis 2018, les néonicotinoïdes sont interdits d’usage !
Côté Wallon, un arrêté Wallon interdisait l’usage phyto des néonicotinoïdes en Wallonie depuis 2018. Phytofar et Bayer ont saisi le Conseil d’Etat pour casser l’arrêté, arguant que les termes de l’interdiction de l’usage allaient trop loin et empiétaient sur les compétences fédérales (de mise sur le marché). Le Conseil d’Etat leur a donné raison en juin 2020.
Mon travail à la Chambre
Une proposition de Loi
Sous la législature précédente, les députées Ecolo/Groen, Muriel Gerkens et Anne Detry on déposé une proposition de loi visant à interdire la mise sur le marché (et donc de facto l’usage) des néonicotinoïdes sous toutes leurs formes.
La loi a été déposée en juin 2015. Des auditions ont eu lieu en 2016. Moyennant un amendement pour le secteur betteravier (un délais jusqu’en 2021), la loi est votée en première lecture en 2018.
La loi obtient un vote en 2e lecture en 2019 juste avant la fin de la législation, elle est donc est adoptée en commission. Mais, pour pouvoir être votée en plénière, il faut une autorisation européenne (car cela touche aux règles du marché européen). Dans l’attente du résultat, la législation prend fin, le texte est donc caduque.
Qu’à cela ne tienne. Dès mon arrivée au parlement, avec ma collègue Barbara Creemers, nous ré-introduisons la proposition.
Cependant, le temps de la mettre à l’agenda, et de gérer les tergiversations de certains groupes politiques, la Vivaldi arrive, et nous empêche de faire adopter la loi. C’est en raison du fait que l’accord de gouvernement ne permet pas d’avancer plus strictement dans la législation relative aux néonicotinoïdes en Belgique qu’au niveau européen.
Un contrôle parlementaire assidu
J’assure par ailleurs mon rôle de contrôle du gouvernement sur ce dossier. En voici les étapes.
1) Interpellation de Mr Ducarme, alors ministre fédéral de l’agriculture, en avril 2020 (question rentrée en 2019 lorsqu’il autorise une dérogation pour les récoltes 2020 pour les betteraves)
A ma question, Mr Ducarme répond que ce sera la dernière année d’octroi d’une dérogation : « J’insiste ici, madame de Laveleye, sur la nécessité qu’il soit mis fin, pour l’année prochaine, à ces dérogations » (QO n°55003626)
On en parle dans la presse : https://www.lalibre.be/planete/environnement/2020/08/26/pesticides-tueurs-dabeilles-il-ny-aura-plus-de-derogations-pour-les-neonicotinoides-confirme-le-ministre-ducarme-RJELI723K5AB5DLJRXVK5GPWRI/
2) Interpellation de Mr Clarinval, nouveau ministre fédéral de l’agriculture, en octobre 2020, suite à l’annonce du 15 septembre 2020 que le secteur de la betterave allait demander à nouveau des dérogations pour l’usage de produits néonicotinoïdes. La question a pu être posée le 8 février 2021 (question 55011886C).
On en parle dans la presse : https://www.lesoir.be/338622/article/2020-11-18/nouvelle-derogation-pour-limidaclopride-une-decision-honteuse-associations
3) Interpellation de Mr Clarinval en juin 2021 suite aux démarches de recours du secteur associatif (voir ci-après). (question n°55016297)
4) Interpellation en juillet 2021 suite à la sortie d’un rapport de l’Agence nationale française de sécurité sanitaire et environnementale (ANSES) présentant les alternatives aux néonicotinoïdes (question n°55019003).
J’y insiste encore sur le fait que la majorité des producteurs de betteraves cultive sans néonicotinoïdes. Et que des alternatives existent !
5) Et enfin une interpellation en février 2022 (question rentrée en novembre 2021), sur la 3e dérogation, acceptée par Mr Clarinval pour les cultures du printemps 2022 (question n°5523196).
Je lui ai posé la question de l’usage effectif des néonics en 2021, mais aussi sur le processus de dérogation, et enfin sur le nombre de dérogations données par la Belgique pour des produits interdits par l’Europe.
Mr Clarinval a confirmé la nouvelle dérogation, et confirmé que 22 % des cultures de betteraves avaient bénéficié, en 2021, de semences enrobées. Il n’a par contre par répondu au nombre de dérogations. Je lui reposerai la question !
Suite à ses réponses, j’ai pu rappeler :
– que nous pensons qu’il faut revoir comment l’administration traite de façon rigoureuse les différents critères permettant les dérogations, à savoir les circonstances particulières (comment des circonstances particulières peuvent-elles avoir lieu chaque année?) et « qu’aucun autre moyen raisonnable n’a pu être trouvé » (alors que la majorité des producteurs s’en passent, et que des alternatives existent, et qu’on a pas de données officielles sur l’impact économique réel d’un refus de dérogation, les raisons de récoltes moins rentables pouvant être multiples.
– que le nombre de dérogations données en Belgique pour des produits dangereux, et interdits au niveau européen, est beaucoup trop haut.
– que d’autres pays européens sont plus circonspects dans l’octroi de dérogations.
– que des alternatives existent et ont été documentées de nombreuses fois : la rotation des cultures, le développement de variétés de cultures plus résistantes aux maladies, l’application de méthodes de lutte biologique et l’utilisation d’insecticides respectueux de la nature.
– que la stratégie européenne pour la biodiversité vise une réduction de 50 % des pesticides d’ici 2030.
Merci à la société civile !
Les agriculteurs et agricultrices bio sont en premières ligne de résistance aux intrants chimiques néfastes pour l’environnement et la santé.
Nous bénéficions aussi d’une expertise et d’un travail de veille énorme de la part de la société civile. Notamment Nature et Progrès, et Pesticide Action Network (PAN).
Outre leur travail de veille et d’expertise, ils ont intenté, avec un apiculteur liégeois, trois recours auprès du Conseil d’État contre les dérogations fournies par l’État belge pour l’usage de néonicotinoïdes sur betteraves en 2019, 2020 et 2021.
Suite à ces recours, le Conseil d’Etat a envoyé en février 2021 cinq questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union européenne.
Ces questions préjudicielles ont pour but de clarifier les contours de l’article du règlement européen pesticide permettant les dérogations mentionnées.
La CJUE devra se pencher, notamment, sur la notion de « circonstances particulières » exigées par l’article 53 du règlement européen concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques permettant les dérogations. Elle devra ainsi déterminer le champ d’application de cette notion et déterminer si l’article 53 vise uniquement les situations pour lesquelles la survenance d’un danger est certaine ou si elle vise également la survenance d’un danger plausible. Elle devra aussi étudier si les « circonstances particulières » couvrent des situations pour lesquelles la survenance d’un danger est prévisible, ordinaire et même cyclique.
Elle statuera aussi sur la portée des moyens raisonnables et déterminera si la condition « qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables » met sur pied d’égalité la garantie d’un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, et la préservation de la compétitivité de l’agriculture communautaire.
Affaire à suivre donc …
D’autant que le nouveau plan national sur les pesticides (NAPAN) est en phase de consultation publique, et qu’il ne correspond pas à ce stade, à l’accord de gouvernement qui annonce un plan ambitieux. A suivre aussi !