Le dépassement de la 5e limite planétaire

Selon une étude du Stockholm Resilience Centre (RSC) parue le 18 janvier 2022 dans la revue scientifique Environmental Science & Technology, nous venons de franchir une nouvelle « limite planétaire », la cinquième, celle de la pollution chimique. Selon eux, la production de produits chimiques a été multipliée par 50 depuis le début des années 1950 et pourrait encore tripler d’ici 2050.

A quoi correspondent ces limites ?

Ce concept de limite planétaire a été développé en 2009 par une équipe internationale de chercheurs du RSC. Il définit un espace de développement sûr et juste pour l’humanité, fondé actuellement sur neuf processus biophysiques qui, ensemble, régulent la stabilité de la planète : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, les changements d’utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère, l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère.

Ce sont donc les frontières à l’intérieur desquelles l’humanité peut continuer à se développer et à prospérer pour les générations à venir et qui représentent l’état stable dans lequel la Terre est restée depuis 10 000 ans, depuis l’aube de la civilisation (Holocène)1. « On parle bien d’une limite et non d’une évolution graduelle des conséquences car ces systèmes ne réagissent pas de manière linéaire aux bouleversements. Ils auront tendance à encaisser, à rester stable malgré un déséquilibre de plus en plus fort, jusqu’à arriver à un point de bascule »2. Ce point de bascule représente la rupture de l’équilibre jusqu’alors respecté, un point de non-retour après lequel il sera impossible de revenir à l’état initial. Une fois cet équilibre rompu, il y a de fortes chances que des changements environnementaux importants ou irréversibles se produisent sur l’entièreté du globe3.

Des seuils quantitatifs ont été définis pour sept des neuf limites.

Le premier rapport du RSC, en 2009, qui identifiait les neuf limites, montrait que trois avaient déjà été dépassées : celles liées à la biodiversité, au climat, et au cycle de l’azote. En 2015, leur rapport annonçait le dépassement d’une nouvelle limite : celle de l’affectation des terres. Le rapport de 2022 en ajoute donc une cinquième : la pollution chimique.

Dépassement de la cinquième limite : la pollution chimique

Les techniques ont petit à petit évolué depuis 2009. Ainsi, avec les nouvelles connaissance acquises, les chercheurs ont été en mesure de développer un nouveau concept : les entités nouvelles. Il s’agit des  » produits chimiques et d’autres nouveaux types de matériaux ou d’organismes artificiels inconnus jusqu’alors dans le système terrestre, ainsi que les éléments naturels (par exemple, les métaux lourds) mobilisés par les activités anthropiques »4. Ce concept introduit de nouvelles « entités » qui vont interagir avec les systèmes biophysiques et dont on ne peut mesurer les conséquences. Le rapport 2022 mentionne même que « le rythme de production de ces produits chimiques est trop élevé par rapport à la capacité de mesurer et d’évaluer leurs possibles conséquences sur les systèmes terrestre ». En d’autres termes, nous ne sommes pas capables de mesurer l’impact de la production de ces « entités nouvelles » sur la terre.

Il existe aujourd’hui environ 350.000 différents types de produits chimiques manufacturés sur le marché et la production de plastique a augmenté de 79% entre 2000 et 2015.

Le plastique est un bon exemple d’entité nouvelle. Il est produit en tellement grande quantité, qu’il est présent partout sur terre et même dans l’atmosphère, sous forme de microparticules. Le rapport 2022 chiffre la masse totale de plastiques présents sur Terre à plus de deux fois la masse de tous les mammifères vivants…

Pour rappel, chaque année, nous produisons en moyenne 300 millions de tonnes de plastiques par an et environ 8 à 12 millions de ces plastiques finissent dans les océans5. Par ailleurs, seul 9 % du plastique que nous produisons est recyclé6.

D’autres produits sont ciblés  comme les polluants organiques persistants (POP) et les produits chimiques persistants, bioaccumulatifs et toxiques (PMT), les pesticides, les PFAS, les déchets radiodactifs, les produits chimiques industriels, les organismes génétiquement modifiés, les métaux lourds, les nanoparticules, ….7

Quid des autres limites ?

Comme l’a démontré le dernier rapport du RSC, nos connaissances évoluent avec le temps. C’est pourquoi il nous manque encore des données pour mesurer et évaluer l’état des autres limites planétaires. Nous savons toutefois que l’acidification des océans s’approche dangereusement du point de rupture mais que l’utilisation de nos ressources en eau douce et l’ozone stratosphérique restent dans la zone « safe operation space ». Nous ne pouvons toutefois prévoir de quelle manière chaque système peut évoluer en fonction du dépassement de certaines limites, ces systèmes étant touts interconnectés entre eux.

Une étude publiée en 2017 dans la revue Frontiers in ecology and the environment8 démontrait que les produits chimiques avaient déjà impacté d’autres limites planétaires. Par exemple, le rejet de métaux lourds, déchets radioactifs, POP et pesticides polluent l’eau, l’air, le sols et influencent dès lors sur les limites relatives aux ressources d’eau douce, la biodiversité et l’atmosphère. De l’autre côté, l’augmentation de concentration de CO2 et le réchauffement climatique facilitent l’évaporation des POP dans l’air.

Nous voyons dès lors à quel point ces systèmes s’impactent mutuellement. C’est pourquoi une politique climatique et environnementale ambitieuse et diversifiée, s’attaquant à tous les éléments impactant les différents systèmes est nécessaire.

Que fait-on avec cela ?

Plusieurs stratégies sont en cours pour luter contre l’émission de nouvelles particules polluantes, dont le plan fédéral pour une économie circulaire, une limitation des produits à usage unique en plastique, une stratégie sur les produits polluants et pour diminuer l’usage des pesticides…

Néanmoins, ces stratégies restent lentes à mettre en place, et pour la plupart trop peu ambitieuses.

On doit donc redoubler d’effort pour faire passer notre santé et celle de notre planète avant les arguments économiques avancés pour refuser d’avancer !

 

 

Sources :

https://www.stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries.html

https://www.stockholmresilience.org/research/research-news/2022-01-18-safe-planetary-boundary-for-pollutants-including-plastics-exceeded-say-researchers.html

https://www.rtbf.be/article/climat-biodiversite-pollution-chimique-nous-avons-desormais-franchi-cinq-limites-planetaires-10921085