La Belgique exporte massivement des pesticides interdits en Europe

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Des chiffres effrayants

Greenpeace UK et Public Eye ont publié le 10 septembre 2020 une enquête démontrant qu’en 2018 les pays membres de l’Union européenne ont approuvé l’exportation de 81 615 tonnes de pesticides contenant des substances interdites par l’Europe et dangereuses pour la santé et l’environnement. Au total, il s’agit de 41 pesticides interdits qui ont été autorisés à l’exportation pour cette période, tels que le Paraqua, le dichloropropène, le cyanamide, et d’autres. La Belgique fait partie des principaux exportateurs, après le Royaume-Uni et avec la France, l’Italie, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Espagne. Du côté des importateurs, on retrouve 85 pays, dont les trois quarts sont des pays en développement ou émergents. Parmi les plus gros se trouvent les États-Unis, le Brésil, l’Ukraine, le Maroc, le Mexique et l’Afrique du Sud, dont plusieurs sont des pays qui importent une part importante de leurs productions depuis l’Europe.

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Public Eye et Oxfam UK ont publié une nouvelle étude le 18 novembre 2021. Cette étude démontre que l’UE a donné son feu vert aux demandes d’exportation d’au moins 4 000 tonnes de néonicotinoïdes interdits sur son sol depuis 2018, contenant plus de 700 tonnes de substances actives d’imidaclopride, de thiaméthoxame et de clothianidine, et ce entre 1er septembre et le 31 décembre 2020.

Ces produits sont exportés par des entreprises telles que Syngenta, Bayer, BASF et autres géants de l’agrochimie qui obtiennent des licences d’exportations auprès des autorités européennes. Ainsi, sur la période étudiée, environ 300 licences d’exportation ont été accordées.

L’enquête a révélé que les huit gros exportateurs étaient des pays membres de l’UE et le Royaume-Uni, à destination de plus de soixante pays. Avec 310 tonnes de substances actives, la Belgique est de loin le plus gros exportateur !

Plus de 90 % des exportations des produits interdits dans l’UE sont envoyés vers des pays à revenus faibles ou moyens comme le Brésil, l’Ukraine, le Mali ou le Pakistan.

Le Brésil – un pays qui abrite jusqu’à 20 % de la biodiversité mondiale restante – était la destination phare pour près de la moitié du poids total des exportations de l’UE des produits chimiques interdits. Pour ce pays là aussi, la Belgique est le plus gros exportateur avec une livraison de 2,2 millions de litres de l’insecticide Engeo Pleno S de Syngenta, soit une quantité suffisante pour pulvériser plusieurs fois la surface de ses propres territoires.

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Outre l’aspect éthiquement scandaleux d’exporter des produits toxiques interdits chez nous dans des pays en grande partie à faibles revenus, il est nécessaire de rappeler que depuis l’introduction des néonicotinoïdes, les populations de pollinisateurs se sont effondrées à l’échelle de la planète, faisant peser une « sérieuse menace sur la sécurité alimentaire mondiale », selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui évalue qu’un tiers de la production agricole mondiale dépend des pollinisateurs. Les néonicotinoïdes demeurent pourtant les pesticides les plus utilisés au monde.

Que fait l’Europe ?

Pour l’instant, la législation européenne relative au commerce international des produits chimiques et pesticides dangereux1 impose seulement de déclarer annuellement à la Commission européenne les quantités exactes de produits exportés hors de l’Union européenne pour chaque pays de destination2.

Dans la foulée de l’enquête de septembre 2020, l’ECHA a ajouté 22 substances à la liste des produits chimiques dangereux. Par ailleurs, la Commission s’est engagée à renforcer « la dimension environnementale » de la législation sur les limites maximales de résidus (LMR).

Le 14 octobre 2020, elle a également publié sa stratégie « sur les produits chimiques pour la durabilité » dans laquelle elle s’engage à « veiller à ce que les substances chimiques dangereuses interdites dans l’Union européenne ne soient pas produites à des fins d’exportation »3.

Le 5 novembre 2020, plus de 70 ONG4 européennes et internationales et 69 eurodéputés (dont les Verts bien sûr)5 ont écrit à la Commission européenne pour mettre fin à la pratique d’exporter des pesticides interdits au sein de l’UE dans les pays du Sud. Dans sa réponse du 9 décembre 20216, celle-ci réaffirme son intention de mettre fin à la pratique du double standard, mais ne se montre guère plus précise.

Depuis, aucune décision ferme n’a été prise au niveau européen pour concrétiser sa stratégie bien que la Commission européenne s’est engagée à présenter une proposition de loi courant 2022-2023.

Par ailleurs, la législation européenne n’impose pas que les produits traités importés, tels que les aliments, soient étiquetés en fonction du produit avec lequel ils ont été traités. Il est donc possible que des produits importés aient été traités avec des substances interdites dans l’Union européenne. A cet égard, la Commission européenne serait en train de rédiger un règlement visant à réduire les « limites maximales de résidus » de ces néonics sur les aliments importés à « zéro technique« .

Qu’en dit le fédéral ?

A la suite d’une question que j’ai posée le 10/11/20 sur la position de la Belgique pour interdire la production de produits chimiques en Europe dont l’usage n’y est pas autorisé, la Ministre Khattabi avait expliqué que la Belgique se positionnait pour une initiative européenne coordonnée afin d’éviter une délocalisation du problème et un déséquilibre de la concurrence.

Elle mentionne aussi qu’à travers les travaux de la CIMES, son objectif est de compléter les initiatives européennes.

Il serait toutefois nécessaire d’aller plus loin que l’Europe et ne pas adopter un comportement passif sur le sujet. C’est ainsi le cas de certains États membres comme la France qui a prévu une interdiction de la production, du stockage et de la circulation en France des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l’Union européenne pour 2022.

Il serait intéressant de prévoir une telle interdiction dans le cadre notamment du plan d’action national sur les perturbateurs endocriniens (National Action Plan on Endocrine Disruptors – NAPED), en cours d’élaboration ou dans le NAPAN (plan d’action national de réduction des

pesticides 2023-2027) dont la consultation publique serait lancée début 2022 et qui devrait être approuvé durant l’été 2022.

J’interrogerai par ailleurs à nouveaux prochainement la Ministre Khattabi sur ce dossier.

Dans le flou sur l’avenir d’une loi européenne, je lui demanderai d’identifier les leviers fédéraux pour interdire ce genre de pratique.

De mon côté, je plaide clairement pour qu’on puisse interdire ce type d’exportation, par exemple sur la base du modèle français qui a fait passer en 2018 une loi qui prévoit l’interdiction, à partir de 2022, de la production, du stockage et de la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non autorisées en Europe.

C’est donc possible ! Alors faisons-le !

Affaire à suivre…

1Règlement 649/2012 du 4 juillet 2012 : https://echa.europa.eu/fr/regulations/prior-informed-consent/legislation