Le scandale de Zwijndrecht et la saga des PFAS
Que s’est-il passé à Zwijndrecht ?
En juin 2021, lors des travaux du ring d’Anvers, un taux important de PFOS, de la famille des PFAS, (équivalent à 500 microgrammes par Kilogramme de terre) a été retrouvé à Zwijndrecht, contaminant ainsi un million de mètres cubes de terre.
Les PFOS ont été produits dès 1976 à Zwijndrecht par l’entreprise multinationale 3M, et ce jusqu’en 2002. Durant toute cette période, ils ont pu s’échapper via l’air et les eaux usées.
Qu’est-ce que les PFAS et les PFOS et où en sommes-nous pour les interdire ?
Les PFAS ou substances per- et polyfluoroalkylées constituent un groupe de substances artificielles, dont les propriétés physico-chimiques (résistance à la chaleur, acides, graisses), expliquent leur utilisation dans un large éventail de secteurs. Il s’agit d’un groupe de 4700 substances chimiques, les plus connues sont notamment l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), le perfluorooctane sulfonate (PFOS), l’acide perfluorononanoïque (PFNA) et l’acide perfluorohexane sulfonique (PFHxS).
Ils sont utilisés notamment pour l’imperméabilisation des cuirs, textiles et cartons, dans les enduits, les mousses anti-incendie, les pesticides, etc.
Les PFAS ne se dégradent pas, on les qualifie de « produits chimiques éternels », car ils restent très longtemps dans l’environnement, la flore, la faune et même dans nos corps. Ils sont bioaccumulables, toxiques, reprotoxiques, immunotoxiques, perturbateurs endocriniens. Ils peuvent donc causer des cancers ou des troubles de la croissance, parmi d’autres pathologies graves.
Les enjeux sanitaires des PFAS sont connus depuis très longtemps. Le scandale du Teflon (fabriqué à base de PFOA), aux Etats-Unis, dans les années 80/90, a montré les ravages de ce type de produit.
En 2015, 2000 scientifiques ont signé la « Déclaration de Madrid » qui dénonçait la propagation et l’accumulation croissante des PFAS. Ils ont demandé une coopération de la communauté internationale (scientifiques, gouvernements, fabricants, consommateurs, etc.) pour que des mesures radicales soient prises afin de limiter la production et l’utilisation des PFAS et développer des solutions alternatives non fluorées plus sûres.
Des mesures réglementaires ont depuis été adoptées, essentiellement en ce qui concerne le PFOS, le PFOA et leurs précurseurs.
La Convention de Stockholm sur les POP (accord international visant à interdire certains produits organiques polluants entré en vigueur en 2004, ratifiée par la Belgique en 2006) limite sévèrement la production et l’utilisation du PFOS et interdit la production et l’utilisation du PFOA. En tant que partie-prenante, la Belgique doit remettre un plan national de mise en œuvre de la Convention. Son 3e et dernier plan en date couvre la période 2014-2018 et à été amendé en janvier 2019.
Au niveau européen, le REACH (Règlement de l’Union européenne adopté pour mieux protéger la santé humaine et l’environnement contre les risques liés aux substances chimiques) identifie plusieurs PFAS comme substances extrêmement préoccupantes (notamment le PFOS, PFOA, mais aussi le GenX, un produit de substitution du PFOA à chaîne plus courte).
En bref, si certains PFAS sont déjà interdits (mais persistent dans notre environnement) la majorité des PFAS sont toujours produits et utilisés, malgré la reconnaissance de leur potentiel toxique élevé. L’Europe y travaille actuellement, notamment en travaillant à une restriction REACH pour les PFAS ainsi que dans le cadre de sa stratégie sur les produits chimiques. Selon la planification actuelle, une restriction européenne générale sur les PFAS n’entrera pas en vigueur avant 2024 au plus tôt.
Revenons à Zwijndrecht, et aux questions que cet épisode soulève !
Plusieurs questions se posent, que j’ai relayées à la Chambre, aux ministres Clarinval, Vandenbroucke et Khattabi.
La première : qui est responsable de la dé-pollution des sites ? Qui va payer ?
Il s’agit bien entendu d’une question qui relève deLa dernière concerne l’avenir : comment mieux nous protéger de ce type de pollution ?s régions, mais il nous semblait utile, vu l’ampleur des dégâts, d’avoir l’input du fédéral sur cette question. Dans ce cas-ci, le coût de l’assainissement et de l’emballage ne fait pas partie du projet du ring. La région Flamande est donc en première ligne pour financer cela. Pour l’instant, il s’agit de 64 millions d’euros, dont 23 millions proviennent du fonds de relance qui sert aux mesures climatiques. Un total de 50 millions a été fourni (également à partir du fonds de partage des charges). Lantis, entreprise en charge des travaux, paie 14 millions. L’entreprise 3M, responsable de la pollution, ne devrait, elle, débourser que 75.000 euros.
Nous sommes donc très loin du principe du pollueur-payeur ! Rappelons par ailleurs que 3M a réalisé 4,5 milliards de profit en 2020 dans le monde ! Il nous faut avancer efficacement sur la responsabilité des entreprises !
Notons que Greenpeace se mobilise sur ce cas : vers leur site
La seconde : qu’en est-il de la surveillance de notre sécurité alimentaire ?
Les aliments peuvent être contaminés à travers la terre et l’eau utilisés pour la culture et les animaux par l’eau et la nourriture consommée, par des emballages alimentaires contenant des PFAS ou encore par l’intermédiaire d’équipements de transformation contenant des PFAS.
La région de Zwijndrecht est une région agricole, qui compte de très nombreux opérateurs agricoles (tant élevages que culture). Alors, nous avons fait le point.
Il n’existe pas encore de normes européennes pour composés PFAS dans les aliments ! En l’absence de normes, l’AFSCA (notre agence fédérale de sécurité de la chaîne alimentaire) a élaboré en 2008 des normes sur base d’un avis de son comité scientifique.
Depuis 2008, l’AFSCA effectue donc des contrôles sur les PFAS, prélève ainsi des échantillons de denrées alimentaires dans toute la chaîne alimentaire, de l’agriculteur au magasin, répartis sur l’ensemble du territoire belge. Les 450 échantillons prélevés depuis n’ont donné aucune indication de contamination alimentaire.
Depuis septembre 2020, l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) a émis un avis qui propose une norme hebdomadaire tolérable de 4,4 ng/kg de poids corporel par semaine pour la somme des PFOA, PFNA, PFHxS et PFOS. Ce qui est 1000 fois plus stricte que la norme appliquée de l’AFSCA ! Ces normes ne sont pas encore validées par la Commission européenne (elles le seront pour fin 2021), et pas encore intégrées au niveau belge.
Selon le Ministre Clarinval, l’AFSCA n’aurait été mise au courant de la situation à Zwjindrecht que début juin 2021 et aurait à partir de ce moment-là, effectué des recherches spécifiques sur le site 3M, mais donc toujours sur base de ses propres normes. D’après le Ministre, les échantillons ne dépassaient pas les limites fixées par l’AFSCA.
Par ailleurs, l’AFSCA a demandé en urgence un nouvel avis à son comité scientifique sur base des normes établies par l’EFSA . Celui-ci a été validé le 25 juin 2021, et l’étude nationale a été lancée afin de produire cet avis.
En bref, l’AFSCA n’était pas au courant d’information déjà existantes à d’autres niveaux, l’Europe n’a toujours pas validé de normes pour notre sécurité alimentaire en matière de PFAS, un avis scientifique européen existe néanmoins et il faut une crise majeure pour qu’on se préoccupe de mettre à jour nos données sur base de cet avis.
Sur base de ces éléments, nous avons donc pu partager notre inquiétude à différents niveaux : le manque de partage d’information entre les différentes autorités sur les risques de pollution à faire contrôler, le manque de normes adéquates sur les polluants au niveau européen et au niveau belge, mais aussi et surtout sur le manque de diligence de nos autorités pour édicter des normes de référence basées sur les recherches scientifiques les plus récentes, et la lenteur pour appliquer les nouvelles normes européennes au contrôle sur notre territoire.
La dernière concerne l’avenir : comment mieux nous protéger de ce type de pollution ?
Avec la ministre de l’environnement, nous avons fait le point sur l’avenir.
On l’a vu plus haut, la législation sur les PFAS est encore très lacunaire, et plus largement, les politiques sur les produits chimiques restent trop fragiles.
La ministre Khattabi nous a informé qu’elle a convoqué une CIMES (Conférence Interministérielle mixte de l’Environnement et de la Santé) début juillet tant pour améliorer la coordination entre les différent.e.s ministres impliqué.e.s dans la gestion de la crise de Zwijndrecht, que pour envisager la suite.
Elle a souligné que la Belgique tient une position ambitieuse au niveau européen dans la mise en place des politiques liées aux produits chimiques.
Elle mentionne aussi qu’à travers les travaux de la CIMES, son objectif est de compléter les initiatives européennes.
Plusieurs initiatives se profilent déjà en ce sens. Tout d’abord une nouvelle étude sur la présence des PFAS dans notre chaîne alimentaire. Cette étude fournira des informations sur la présence et l’exposition à quatre PFAS dans l’alimentation de la population belge. En outre, les sources de contamination par les PFAS dans la chaîne alimentaire seront identifiées afin que des actions puissent être entreprises pour réduire ces sources.
Une autre étape concrète au niveau fédéral est le Plan d’Action National sur les perturbateurs endocriniens en cours de réalisation dans le cadre duquel des actions concernant les PFAS sont toujours en discussion.
Dans ce cadre, la Ministre a porté à la CIMES une politique ambitieuse et préventive mettant en place le principe de précaution dans une perspective « one world, one health ». Bien que la Flandre n’ait pas suivi, la Ministre s’est bien engagée, à son niveau, à suivre le principe de précaution dans l’autorisation de substances suspectes.
Elle a aussi souligné son soucis de voir les pollueurs endosser leurs responsabilités, et dès lors la pertinence de faire inscrire l’Ecocide dans le droit pénal belge.