La perte de la biodiversité, une crise aussi importante que la crise climatique

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Le 22 septembre 2020, nous déposions avec mes collègues Ecolo-Groen une résolution visant à soutenir et à mettre en œuvre la stratégie européenne en faveur de la biodiversité afin d’assurer sa protection, et ce dans le cadre de la préparation de la COP15 pour la biodiversité.

Contexte de la Résolution

2020 était l’année de la biodiversité 

L’année 2020 clôturait la décennie des Nations-Unies pour la biodiversité, qui devait se conclure avec la COP15 (la 15e réunion de la Convention de l’ONU sur la diversité biologique). Cette COP15 devait faire le bilan de la stratégie décennale qui se termine, et préparer la suivante.

Malheureusement elle a été postposée à cause du COVID19 et aura lieu à l’automne 2021.

La crise du COVID19

Le COVID-19 est une Zoonose, une maladie transmissible des animaux à l’homme, et inversement. Nous savons aujourd’hui que la perte de biodiversité augmente les risques d’épidémies par zoonose.

Cela fait longtemps que les spécialistes alertent en disant qu’avec l’accroissement des déplacements humains, de la déforestation et du changement climatique, une nouvelle ère de risque épidémique a commencé.

Ce contexte sanitaire doit tout particulièrement nous interpeller sur la nécessité absolue à laquelle nous sommes confrontés de repenser radicalement nos modes de vie, nos modes de production et de consommation, en vue de préserver notre biodiversité.

L’effondrement des écosystèmes 

Il y a un consensus pour établir que l’humanité est confrontée à une double crise sans précédent : le changement climatique et l’effondrement des écosystèmes. Nous sommes confrontés à ce que de nombreux analystes nomment une 6e extinction de masse.

La première à être imputable à un être vivant : l’être humain.

L’IPBES effectue le monitoring de la biodiversité dans le monde. De rapport en rapport, le constat se confirme et est alarmant.

Dans son rapport de 2020, l’IPBES compile de nombreux constats, dont :

  • Environ 1 million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction (sur les 8 millions d’espèces connues)

  • 75% de la surface terrestre et 66% du milieu marin ont été significativement modifiés par l’action humaine.

  • De 100 à 300 millions de personnes sont exposées à un risque accru d’inondations et d’ouragans en raison de la perte de protection côtière naturelle;

  • la pollution par les plastiques a été multipliée par dix depuis 1980;

  • de 300 à 400 millions de tonnes de métaux lourds, solvants et autres substances toxiques sont déversées chaque année dans les rivières et les océans.

Causes de la perte de biodiversité

Selon le rapport 2020 de l’IPBES1, on peut dégager 5 facteurs directs de changement qui affectent la biodiversité. Il s’agit :

Premièrement, les changements d’usage des terres et de la mer impactent négativement la biodiversité. Il s’agit de l’agriculture intensive, exploitation forestière et minière, ...

Entre 2015 et 2020, on estime que le taux de déforestation s’élève à 10 millions d’hectares par an. Or, la première cause de la déforestation est la conversion permanente et définitive de la forêt pour un autre usage (agriculture, plantation de palmiers à huile, activité minière…) ;

Le second facteur de changement est l’exploitation directe de certains organismes (par la chasse et la pêche notamment).

Ensuite, de par la multiplication par deux des émissions de gaz à effet de serre depuis 1980 provoquant une augmentation des températures mondiales d’au moins 0,7 degré Celsius, le changement climatique constitue un facteur fondamental. Cela a un impact sur de nombreux aspects de la biodiversité, notamment sur la répartition des espèces, la phénologie, la dynamique des populations, la structure des communautés et le fonctionnement des écosystèmes. Ce lien est de plus en plus mis en avant, notamment dans le premier rapport conjoint du GIEC et de l’IPBES de juin 2021 qui montre que le changement climatique entraîne une perte de biodiversité et que la perte de biodiversité affecte le climat, car les organismes comme les arbres ou les océans absorbent une partie des émissions de gaz à effet de serre. Ce rapport insiste sur le fait que le changement climatique et la perte de la biodiversité doivent se solutionner ensemble.

Le quatrième facteur de perte de la biodiversité est la pollution : par les pesticides et les intrants chimiques utilisés dans l’agriculture, les plastiques et microplastiques, etc.

Le dernier rapport de l’OCDE sur notre environnement montre que la Belgique est un mauvais élève en matière d’usage des pesticides et nous montre les impacts notamment sur la qualité des sols et de notre eau.

Enfin, les espèces exotiques envahissantes sont également une source de perte pour la biodiversité .

Impacts de la perte de biodiversité

L’enjeu de la biodiversité est bien plus qu’un enjeu environnemental.

La perte de la biodiversité affecte notre capacité à atteindre les objectifs de développement durable (ODD). On pourrait freiner la réalisation une grande majorité des ODD et en particulier ceux liés à la pauvreté, à la faim, la santé, l’eau, les villes, le climat, les océans et les sols.

Ces tendances négatives se poursuivront au-delà de 2050 dans tous les scénarios envisagés dans le rapport 2019 de l’IPBES, à l’exception des scénarios qui proposent une transition radicale. Afin de rImpact économiqueemplir nos objectifs pour 2030 et au-delà, il est nécessaire d’opérer une véritable révolution dans tous les domaines économiques, sociaux, politiques et technologiques. Il est illusoire de penser la biodiversité et sa protection sans prendre en compte son imbrication dans ces différents domaines. La biodiversité co-évolue avec la société, la façonne et est en même temps façonnée par celle-ci. L’enjeu de la biodiversité dépasse donc « l’environnement ». Sa dégradation impacte inévitablement notre qualité de vie.

Impact économique

Presque la moitié de l’économie mondiale (produit intérieur brut) dépend de la biodiversité. Sa dégradation affecte directement l’économie. Plusieurs études ont montré l’importance des coûts économiques associés à cette dégradation.

L’édition 2019 du Rapport sur les risques mondiaux du Forum Économique Mondial conclut que « de tous les périls, ce sont bien les risques environnementaux qui conduisent le monde en somnambule vers la catastrophe ». Le FEM estime que 3 des 5 risques les plus importants en termes d’impact sont environnementaux et que la perte de la biodiversité est le 2e risque en termes d’impact et le 3e en termes de probabilité pour la décennie 2020-2030. Ce rapport appelle à « une réinitialisation radicale de la relation de l’être humain avec la nature ». En d’autres termes, il appelle à ne plus considérer la nature comme un simple capital substituable, mais comme un élément à préserver nécessaire au développement économique. Les écosystèmes assurent toutes une série de services écosystémiques nécessaires à la survie des êtres humains. Si la qualité de ces services se dégrade, cela affecte directement l’économie.

Selon une étude de l’ONG WWF, dans un scénario de statu quo, le préjudice économique total s’élèverait à plus de 9 000 milliards d’euros à l’horizon 2050, touchant le plus durement le secteur agricole, puis celui de la production et du commerce.

Impacts sur les systèmes alimentaires, accès à l’eau

De moins en moins de variétés de plantes et d’animaux sont cultivées ou élevées, commercialisées et perpétuées à travers le monde.

L’appauvrissement de la diversité des espèces cultivées, des parents sauvages de cultures et des espèces domestiquées diminue la résistance future des agroécosystèmes aux changements climatiques, aux ravageurs et aux agents pathogènes.

La FAO estime que la biodiversité est un élément fondamental pour garantir la sécurité alimentaire et la nutrition. Sa composante génétique fournit la variation nécessaire pour augmenter la production alimentaire, améliorer sa qualité et l’adapter aux conditions environnementale et socio-économique en constante évolution. La biodiversité fournit également des services écosystémiques essentiels aux systèmes de production. Des écosystèmes en bonne santé sont résilients face au stress et constituent un élément fondamental pour affronter les effets du changement climatique.

Impacts sur la santé

La biodiversité est en lien avec notre santé à deux niveaux.

Le premier est notre capacité à fabriquer des médicaments. En effet, la destruction des habitats menace d’extinction quantité d’espèces, parmi lesquelles des plantes médicinales et des animaux sur lesquels notre pharmacopée a toujours reposé. Cela a encore été souligné par le Forum économique mondial en janvier 2020.

Le deuxième se situe au niveau des épidémies. La destruction des habitats renforce les contacts entre les êtres humains et les animaux sauvages. Or,

– Le nombre et la diversité des épidémies a augmenté ces 30 dernières années.

– 75 % des maladies infectieuses émergentes sont des zoonoses. Certains proviennent d’animaux domestiques ou d’élevage, mais la plupart (plus des deux tiers) sont issus d’animaux sauvages. C’est le cas des coronavirus, mais aussi du VIH et d’Ebola.

Selon le PNUE, les changements environnementaux induits par l’homme, qu’il s’agisse de l’exploitation intensive de la terre, de la déforestation, de la pollution ou du changement climatique, modifient la structure des populations d’animaux sauvages et réduisent la biodiversité.  Ce faisant, ils créent de nouvelles conditions environnementales qui favorisent des hôtes, des vecteurs et des agents pathogènes particuliers.

Impact sur le bien-être

Nous le savons, la nature apporte beaucoup en termes de bien-être physique et mental. La période de confinement nous l’a clairement rappelé. A ce titre, comme dans beaucoup d’autres, les personnes vulnérables sont plus impactées par le manque d’accès à la biodiversité, ou à un accès à un environnement détériorer.

Injustice mondiale : les pays du Sud plus impactés

Plusieurs études, dont celle du WWF de février 2020 consacrée au coût macroéconomique de la dégradation de la nature, indiquent que les pays pauvres ayant une économie vulnérable sont ceux qui subiront les conséquences les plus lourdes de la perte de biodiversité. Cinq milliards de personnes sont déjà confrontées à une augmentation de la pollution des eaux et à une insuffisance de pollinisation pour l’alimentation d’après des scénarios sur l’usage des sols et du changement climatique et ce, particulièrement sur les continents africain et sud-asiatique. Les risques accrus d’érosion des sols, d’inondations et d’ouragans sont également préoccupants, comme le mentionne le rapport de l’IPBES de 2020.

Face à ces constats, la communauté internationale se mobilise.

Plusieurs cadres et stratégies existent. Notons simplement :

La Convention de la diversité biologique des Nations -Unies fondée en 1992

Lors de la COP10, les Parties à la Convention sur la biodiversité ont abouti sur les « Objectifs d’Aichi », qui sont : le « Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 »

C’est celui-là qui doit être renouvelé à la COP15 reportée en autonome prochain. Il faut noter qu’à la clôture du plan stratégique, il apparaît que seulement quatre des vingt objectifs présentent de réels progrès. La COP 15 doit déboucher sur un accord pour la biodiversité semblable à l’accord de Paris, il faut espérer qu’elle définira un cadre clair et ambitieux pour les décennies à venir.

Au niveau européen

Dans le cadre du Green Deal, la Commission européenne s’est munie de deux stratégies importantes afin de palier l’aggravation de la dégradation des services écosystémiques, malgré la stratégie biodiversité à l’horizon 2020.  : une nouvelle stratégie biodiversité à l’horizon 2030 et une stratégie « Farm to Fork ».

Au niveau belge

Dans le cadre de la convention sur la diversité biologique de Rio 1992 ratifié par la Belgique, les états doivent intégrer la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique dans leurs plans, programmes et politiques. De plus, lors du Sommet européen de Göteborg en 2001, de concert avec d’autres pays européens, la Belgique s’est engagée à “stopper le déclin de la biodiversité au sein de l’UE d’ici 2010”.

En Belgique, les régions ont une responsabilité de première ligne en ce qui concerne la protection et la restauration de la biodiversité.

Néanmoins, l’autorité fédérale a de nombreux leviers pour faciliter et amplifier les initiatives prises par les régions. Le niveau fédéral est compétent pour les matières environnementales dans les zones maritimes sous juridiction belge et détient des compétences environnementales spécifiques, telles que la CITES, le commerce d’espèces non indigènes, la politique climatique et énergétique, les normes de produit, et d’autres compétences liées à l’environnement et à la biodiversité (coopération au développement, finance, économie, etc.) et dispose de moyens d’action (marchés publics, taxation, etc.).

C’est dans ce cadre que notre proposition de résolution a été votée ce 15 juin.

Au niveau européen, notre résolution demande de renforcer les objectifs en matière de biodiversité en les rendant contraignants et en y mettant les ressources suffisantes pour ce faire, et de défendre ceux-ci lors de la COP15. Au niveau fédéral, les écologistes demandent de transposer les objectifs de la stratégie européenne en matière de biodiversité, mais aussi d’établir un plan d’action national concret et d’y investir les ressources financières nécessaires. Mais il est également fondamental de lutter activement contre la déforestation importée et jouer un rôle actif dans la réduction de l’utilisation des pesticides.

Cette lutte se fait également au niveau international,où il est demandé que la protection de 30% des océans devienne objectif commun.

1IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) – le GIEC de la biodiversité. Créée en 2012.