Contexte

La semaine passée se tenait le Sommet « Finance en Commun ». C’est le sommet qui réunit les 400 Banques Publiques de Développement (BPD) à travers le monde, qui sont à la tête de plus de 2.000 milliards de dollars d’argent public.

Pour rappel, les BPD financent des projets avec de l’argent public prévu pour l’aide au développement aux entreprises pour autant qu’elles s’engagent à contribuer au développement des communautés locales.

Les BPD pourraient donc avoir un réel impact sur la construction d’un monde plus durable, juste, inclusif et soutenir la transition écologique dans les pays du sud.

Malgré cet objectif très prometteur, la réalité est toute autre. Le financement de l’investissement privé est devenu l’objectif au détriment de celui d’éradication de la pauvreté et des inégalités, du soutien au développement durable et inclusif et de la prise en compte des intérêts des communautés locales. Outre cela, nous constatons trop souvent que les entreprises financées par les BPD, comme l’entreprise Feronia en RDC, portent atteinte aux droits humains et à l’environnement.

C’est ce que nous dénonçons dans une carte blanche co-rédigée avec des collègues député.e.s de parlements nationaux européens dont les pays ont des investissements publics critiquables dans des BPD.

https://twitter.com/slaveleye/status/1326521876160655360?s=25&fbclid=IwAR01c_QylQdmhSlYKdXVUHvLPqXSzK1vsB2JpHdGcTFzlUVDMGXvo9P7zgg

→ La société civile a elle aussi réalisé sa carte blanche

Dans cette carte blanche nous identifions quatre problèmes et stratégies communes adoptées par les BPD :

1. Manque de responsabilité publique et de transparence. Les BPD fonctionnent comme des boites noires. Plusieurs enjeux en découlent. Elles laissent notamment tout à fait opaques leurs évaluations des risques sociaux et environnementaux des entreprises qu’elles financent. Les communautés directement impactées ne peuvent dès lors comprendre les activités qui les touchent directement et il est difficile de pouvoir évaluer l’impact sur le « bien commun ». Elles passent aussi souvent par des centres financiers offshores et d’autres intermédiaires financiers qui, outre leurs pratiques fiscales injustes et frauduleuses, rendent le contrôle démocratique impossible.

2. Absence de vision claire sur le type de développement que les BPD cherchent à promouvoir, ce qui permet le financement de projets qui ont un effet contraire à celui du développement. Les projets soutenus sont souvent des grands projets d’entreprises conventionnels qui ont recours à l’accaparement de terres, de violations de droits humains, etc.

3. Absence de prise en compte et de participation des communautés directement touchées par les projets financés alors que l’implication des communautés est au centre d’un développement inclusif orienté vers les droits fondamentaux des populations.

4. Leurs portefeuilles d’investissement comprennent le financement de combustibles fossiles. Leurs financements devraient exclure tout investissement de ce type, qui participent directement ou indirectement à la perte de la biodiversité et/ou au dérèglement climatique.

C’est pourquoi, nous demandons aux BPD de changer leur stratégie financière et d’investir dans des projets et entreprises qui promeuvent le développement durable et inclusif, la transition énergétique, et qui respectent les droits humains à travers des stratégies définies claires et transparentes, impliquant les communautés impactées et finançant des projets orientés vers l’avenir.

Le cas de Feronia

J’ai plusieurs fois partagé le cas du projet Feronia financé par notre banque belge de développement (qui porte le doux nom de BIO).

Pour rappel, Feronia est une entreprise de production d’huile de palme en République Démocratique du Congo. Elle est financée par plusieurs BPD comme CDC (Royaume-Uni) , FMO (Pays-Bas), BIO (Belgique) et DEG (Allemagne). Feronia a hérité d’un passé colonial compliqué à la suite duquel des problèmes de propriété foncière persistent ainsi qu’une gestion autoritaire des employés locaux. Ces six dernières années, l’entreprise a perçu pas moins de 200 millions de dollars par l’aide publique au développement, promettant une augmentation des offres d’emploi, de meilleures conditions de travail et la croissance de l’entreprise. Or, Feronia a fait faillite il y a quelques mois et de nombreux problèmes au regard du respect des droits humains et de l’environnement ont été dénoncés. L’escalade de la violence entre la population locale et l’entreprise due au nom respect de leurs droits fondamentaux a provoqué la mort de trois personnes ainsi que des arrestations arbitraires. J’avais d’ailleurs interrogé plusieurs fois le ministre de Croo en 2019 lors de la mort de Joël Imbangola Lunea, un défenseur des droits humains et de l’environnement. Je n’avais d’ailleurs pas reçu une réponse très satisfaisante. Pour lire mes questions: 14 juillet 201915 septembre 2019 et 17 décembre 2019.

→ Pour en savoir plus sur la saga Feronia, voir mon premier article sur le sujet.

→ Pour en savoir plus sur la violation des droits humains, voir le rapport de  Human Rights Watch et du CNCD 11.11.11.

Revendications

Il est temps que les banques publiques adoptent une position collective pour empêcher que l’argent de l’aide publique ne soit consacré aux combustibles fossiles et aux autres secteurs qui alimentent la crise du climat et de la biodiversité et le non-respect des droits  humains.

Il serait encourageant que les BPD discutent d’une modification intrinsèque de leur fonctionnement et de leur investissement lors du sommet à Paris en coopération avec les parties prenantes (société civile, populations locales et agences de développement).

D’autre part, nous devons, comme État, donner des critères clairs et contraignants aux banques et se doter d’une réglementation assurant le respect des droits fondamentaux des populations affectées par ces investissements, une responsabilité publique, un réel engagement pour le climat et un cadre de financement du développement strict. C’est ce que je tente d’impulser à la Chambre.