Voici maintenant 4 ans que je suis au Parlement le dossier des néonicotinoïdes. Depuis 2019, j’ai interrogé 14 fois le Ministre Clarinval et son prédécesseur, le Ministre Ducarme sur les dérogations que leur administration accordait pour l’usage d’insecticides à base de néonicotinoïdes (voir mes articles précédents ici1, ici2, ici3, ici4 ou ici5 :
Sur base de recours de la société civile (Pesticide Action Network et Nature et Progrès), le Conseil d’État s’est prononcé le 17 octobre 2023 sur ces dérogations.
Petit rappel de ce que ce sont les néonicotinoïdes
Les néonicotinoïdes sont des insecticides (famille des pesticides) utilisés pour tuer ou repousser les insectes considérés comme nuisibles pour les cultures en agissant directement sur leur système nerveux central. Ces insecticides, apparus dans le milieu des années 90, représentent un tiers des insecticides vendus dans le monde.
Quels sont leurs impacts ?
Les néonicotinoïdes ont un impact sur notre bidodiversité, sur notre sécurité alimentaire et sur notre santé.
Sur notre biodiversité, il est à noter que ces pesticides sont des tueurs d’abeilles. Partout en Europe (et dans le monde), les populations de pollinisateurs sont en déclin. Les causes de la mortalité des abeilles sont diverses mais les pesticides et autres polluants affectent les pollinisateurs directement (à cause des insecticides et fongicides) et indirectement (à cause des herbicides).
Or, les abeilles et pollinisateurs jouent un rôle crucial dans notre alimentation puisque plus de 75 % des productions agricoles destinées à notre alimentation dépendent de la pollinisation animale. Causer la chute des populations de pollinisateurs nécessaires à notre alimentation a un impact direct sur les quantités de nourriture que nous pouvons produire.
Les néonicotinoïdes sont tellement utilisés qu’on les retrouve partout, jusque dans le corps des oiseaux et des poissons, mais aussi dans les eaux de surfaces.
Par ailleurs, plusieurs autres études démontrent que ces pesticides sont des perturbateurs endocriniens, cancérigènes, qu’ils peuvent causer des dommages au matériel génétique humain et sont toxiques pour nos systèmes nerveux.
Les néonicotinoïdes sont interdits depuis 2018, et pourtant…
Depuis 2018, les néonicotinoïdes sont interdits d’usage au niveau européen pour leur toxicité. Pourtant, la Belgique et d’autre pays européens accordent massivement des dérogations pour l’usage de ces pesticides sur base de l’article 53 du règlement européen (CE) N° 1107/2009.
Les ONG Nature & Progrès Belgique et Pesticide Action Network Europe ont constaté que l’octroi de ces autorisations d’urgence soulève d’importantes questions de conformité avec la réglementation européenne et ont donc introduit plusieurs recours devant le Conseil d’État depuis 2019. Dans le cadre de cette procédure, la CJUE a été amenée à donner son avis sur la question en janvier de cette année. Sa réponse était claire : le règlement européen (CE) 117/2009 « ne permet pas à un État membre d’autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue du traitement de semences, ainsi que la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de ces produits, dès lors que la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de ces mêmes produits ont été expressément interdites par un règlement d’exécution ». LA CJUE a également rappelé que la santé humaine, animale et l’environnement doivent primer sur toute autre considération.
Dans ses arrêts du 18 octobre 2023, le Conseil d’État a confirmé le raisonnement de la CJUE et a prononcé l’annulation des 6 dérogations autorisant l’utilisation d’insecticides à base de néonicotinoïdes.
Que dit le Ministre ?
J’ai interrogé, pour la quinzième fois, le Ministre à ce sujet en Commission ce 25 octobre 2023.
Sa réponse est décevante. Il a commencé par dire que son administration a besoin de temps pour analyser ces arrêtés et ce alors que l’environnement et notre santé n’ont pas ce temps. Le Ministre se justifie ensuite en disant que les décisions de dérogations pour ces pesticides toxiques leur semblaient en parfaite adéquation avec la réglementation européenne. Cette réponse est très préoccupante, sachant que sur base des initiatives de la société civile au Conseil d’État, j’ai interpellé les ministres à quatorze reprises depuis 2019 pour leur signifier la dimension abusive de leurs dérogations.
Mais surtout, dans sa réponse, le Ministre ne s’engage toujours pas à mettre fin aux dérogations des produits interdits pour leur toxicité.
Je continuerai donc à veiller à ce que la Belgique suive les conclusions de la justice et se montre à la hauteur de ses engagements en matière de réduction de pesticides.
La presse en parle :
Le Soir. « La Belgique ne peut plus permettre les dérogations aux pesticides » : https://www.lesoir.be/544528/article/2023-10-19/la-belgique-ne-peut-plus-permettre-les-derogations-aux-pesticides?referer=%2Farchives%2Frecherche%3Fdatefilter%3Dlastyear%26sort%3Ddate%2Bdesc%26word%3Dneonicotinoide
RTBF. « Insecticides tueurs d’abeilles : l’arrêt de la Cour de Justice Européenne met fin à la moitié des dérogations » : https://www.rtbf.be/article/insecticides-tueurs-d-abeilles-l-arret-de-la-cour-de-justice-europeenne-met-fin-a-la-moitie-des-derogations-11139045
2 https://severinedelaveleye.ecolo.be/2023/01/16/la-belgique-est-le-8eme-pays-accordant-le-plus-de-derogations-pour-les-pesticides-dangereux-et-interdits-dans-lunion-europeenne/
3 https://severinedelaveleye.ecolo.be/2023/02/14/vers-une-fin-definitive-pour-les-derogations-de-pesticides-interdits-en-europe/