Pesticide Action Network Europe (PAN), une ONG avec qui j’ai souvent été amenée à travailler ces dernières années sur le dossier des pesticides, a sorti le jeudi 12 janvier un rapport sur les substances actives non autorisées en Europe, mais pour lesquelles les États-Membres continuent d’autoriser leur utilisation par le biais de dérogations. Je vous en parle !

Le rapport de PAN s’est concentré sur 24 substances actives (SA) particulièrement toxiques non-autorisées en Europe sur la période de 2019-2022. Pour rappel, une substance active est le composé chimique d’un pesticide. L’étude montre que 236 dérogations ont été données par les États-Membres pour 14 produits sur les 24 étudiés, plaçant la Belgique huitième avec un total de 13 dérogations.

En analysant les demandes de dérogations, l’abus des États-Membres d’utilisation de l’article 53 de la réglementation européenne n’est devenu que plus clair. Les demandes de dérogations doivent être justifiées par « des circonstances particulières » et « en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables. » De plus, les États-Membres sont responsables du contrôle des demandes et de vérifier la validité des informations soumises. Or, le rapport montre que beaucoup de demandes ne respectent pas ces conditions d’octroi, et c’est clairement le cas en ce qui concerne la Belgique.

Notons que certains pays européens ne dérogent pas au règlement. C’est notamment le cas du Luxembourg qui connaît un climat relativement identique au nôtre, ce qui renforce encore nos questionnements sur la pertinence des dérogations données sur notre territoire.  Le rapport conclut à une utilisation abusive de l’article 53 et d’un contrôle des autorités compétentes peu fiable. 

Autre élément important, le rapport montre que dans la plupart des cas, c’est le secteur chimique ou agro-industriel qui fait les demandes de dérogation, ce qui démontre un conflit d’intérêt préoccupant.

Le rapport se trouve ici : https://www.pan-europe.info/sites/pan-europe.info/files/public/resources/reports/Report_Banned%20pesticides%20still%20widely%20used%202023.pdf

Au vu du rapport, j’ai interrogé à nouveau le ministre de l’Agriculture, David Clarinval, responsable des dérogations, à ce sujet en lui demandant si les résultats du rapport l’encouragent à revoir les pratiques d’octroi de dérogation par ses services. Il m’a assuré, comme chaque fois, que son administration réalisait systématiquement une évaluation « au cas par cas et dans laquelle sont pris en compte de nombreux aspects, … ». Je lui ai alors rétorqué que mon analyse des dossiers de dérogation, et la position peu réjouissante de la Belgique sur le classement de PAN montrent que notre pays a tendance à octroyer trop souvent des dérogations.

Ce rapport arrive quelques  jours avant un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne très important. En effet, à l’initiative de PAN-Europe et Nature et progrès, le Conseil d’État belge a saisi la CJUE en lui posant cinq questions préjudicielles sur l’interprétation de l’article 53 du règlement pesticides. Dans ce cadre, dans un arrêté du Conseil d’État en février 2021, la Cour a constaté que certains points de l’article 53 étaient sujet à des interprétations différentes entre les parties. Le résultat de l’arrêt, s’ il confirme l’abus d’octroi de dérogations, nous permettra d’interroger à nouveau le ministre Clarinval sur le nombre de dérogations octroyées par la Belgique et surtout, à nouveau, lui demander d’y mettre fin!

Avec l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui tombera le jeudi 19 janvier, j’aurai encore l’occasion de vous partager l’avancée du dossier ! La suite au prochain épisode donc 😉.

Vous pouvez consulter un petit historique de mon travail sur les pesticides notamment ici et ici.