Introduction

La lutte contre le changement climatique repose sur trois axes : l’atténuation (diminution de nos émissions de gaz à effet de serre), l’adaptation au changement climatique et la prise en compte des pertes et préjudices (loss and damages).

Les pertes et préjudices sont un des enjeux majeurs de la prochaine COP27 (Conférence des Parties) qui se déroulera à Charm-El-Cheikh (Égypte) au mois de novembre.

Il était nécessaire que nous, famille écologiste, ayons une revendication claire sur ce volet central de la justice climatique. Raison pour laquelle j’ai déposé une résolution.

De quoi s’agit-il et pourquoi est-ce un enjeu important ?

Les pertes et préjudices font référence aux conséquences du changement climatique auxquelles il n’est plus possible de s’adapter. Ils désignent donc toutes les catastrophes résultant du réchauffement climatique, qu’il s’agisse d’événements extrêmes (cyclones, tempêtes, ouragans, provoquant des destructions, inondations, etc.) comme des événements plus lents, moins visibles (longue sécheresse provoquant la désertification, élévation du niveau de la mer provoquant de l’érosion, la salinisation des sols, etc.).

Il s’agit donc de conséquences du changement climatique auxquelles il n’est plus possible de s’adapter. Cela concerne tant des pertes économiques, ou tangibles (infrastructures, récoltes) que non-économiques ou intangibles (biodiversité, patrimoine culturel, mais aussi vies humaines). Les inondations de septembre 2022 au Pakistan, faisant plus de 1600 décès et ravageant un-tiers du territoire, sont un exemple particulièrement violent de ce que sont les pertes et préjudices liés au dérèglement climatique. La désertification galopante du Sahel, la montée des eaux menaçant certains États insulaires en sont d’autres exemples. En ce moment-même, le Nigeria fait face aux pires inondations que le pays ait connu depuis une décennie avec un bilan de 600 morts, 1,3 million de personnes déplacées et plus de 200 000 maisons détruites. Ce bilan alarmant n’est que provisoire puisque les inondations devraient se poursuivre jusqu’à la fin du mois de novembre.1

Comme cela a pu être démontré à plusieurs reprises, et encore dans le dernier rapport du GIEC, si tous les pays sont impactés par les effets du changement climatique, tous ne sont pas touchés de la même manière. Les impacts climatiques les plus sévères, en termes de vies humaines ou de pertes de ressources, sont plus largement subis par les habitants des pays du «Sud », qui sont historiquement les moins responsables des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La question des pertes et préjudices est dès lors une question centrale dans les discussions sur la justice climatique.

Cette question est également une nécessité en raison de la multiplication des évènements liés au dérèglement climatiques (inondations, dômes de chaleur etc.) devenus de plus en plus en fréquent.

Les pertes et préjudices : un débat vieux de 30 ans

Les revendications des pays du « Sud » à reconnaître leurs pertes et préjudices remontent au début des années 1990. L’Alliance of Small Island States (AOSIS), un groupe de 39 petites nations insulaires et pays côtiers réunis formellement pour la première fois lors de la deuxième conférence mondiale sur le climat à Genève, lance le premier appel à une action sur les pertes et préjudices en 19912.

Cette question s’oppose à de la résistance dès son apparition de la part des pays du « Nord », essentiellement pour des raisons financières. Cela n’empêche pas l’AOSIS, rejoints ensuite par d’autres états, de revendiquer l’importance de la mise en place d’un mécanisme de financement des pertes et préjudices lors des discussions et conférences des parties au fil des années.

Il a fallu attendre la COP13 de 2007, à Bali, pour reconnaître pour la première fois le concept de pertes et préjudices dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

En 1997, le protocole de Kyoto (établi lors de la COP3), bien que principalement axé sur l’atténuation, mentionne l’ »assurance » comme mécanisme potentiel pour minimiser les « effets néfastes du changement climatique ».

En 2013, le mécanisme international de Varsovie sur les pertes et les dommages (Warsaw International Mechanism – WIM) est créé lors de la COP19 en Pologne. Ce mécanisme remplit trois fonctions principales. La première fonction consiste à améliorer la compréhension de ce que sont les pertes et préjudices notamment grâce à la collecte de données pertinentes. La deuxième fonction concerne le partage des ressources et la collaboration entre les États Parties, les agences gouvernementales, les organisations de la société civiles et les autres organismes chargés de lutter contre les pertes et les dommages. La troisième fonction vise à renforcer l’action et le soutien en cas de pertes et de préjudices.

Cette fonction est la plus controversée puisqu’elle peut inclure la mobilisation de fonds pour payer les impacts du changement climatique. Cependant, dans la pratique, c’est l’aspect le plus négligé du mandat du WIM.

Le concept de pertes et préjudices a ensuite été formellement reconnu comme l’un des trois piliers de la lutte contre le changement climatique dans l’Accord de Paris en 2015 (COP21), qui appelle par ailleurs à un financement spécifique par les pays industrialisés mais toujours sans prévoir de mécanisme de financement spécifique.

Un financement existe t-il pour les pertes et préjudices ?

Malgré les différents instruments en cours de structuration, aucun mécanisme de financement spécifique pour les pertes et préjudices n’a été à ce jour reconnu. Lors de la COP26 à Glasgow, l’ensemble des pays en développement (G77 et la Chine) se sont mis d’accord pour demander un mécanisme de financement additionnel et spécifique pour les pertes et préjudices, financé par les pays historiquement les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Cette demande n’a pas été concrétisée dans l’accord final, qui a simplement acté la mise en place d’un dialogue de deux ans visant à discuter des modalités de financement des activités visant à prévenir, minimiser et traiter les pertes et les dommages liés aux effets néfastes du changement climatique3.

Cependant, différents pays ou régions montrent la voie. Lors de la COP26, la Wallonie et l’Ecosse ont annoncé des montants spécifiques (un million d’Euros et 2 millions de Livres) aux pertes et préjudices rencontrés par les pays fragiles, rejoints par le Danemark en 2022 (avec un montant de 13,5 millions d’Euros).

En attendant, à la veille de la COP27, les pertes et préjudices ne sont toujours pas formellement à l’agenda !

En vue des débats  à la COP, il faut clarifier nos demandes !

Au niveau belge, je dépose, au nom des écologistes, une résolution relatives aux pertes et préjudices demandant au gouvernement :

1) Que la Belgique, par la voix de l’Union Européenne, soutienne la mise officielle à l’agenda de la COP27 la question du financement des Pertes et préjudices, ainsi que la mise à l’agenda des différents organes de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ;

2) Que la Belgique s’engage de manière proactive et constructive dans la discussion sur les modalités et le rôle d’un mécanisme de financement spécifique et additionnel des pertes et préjudices dans le cadre de la CCNUCC et que ce mécanisme soit établi lors de la COP 27, avec un travail technique supplémentaire sur sa mise en place la plus efficace immédiatement après ;

3) Que la Belgique (à travers le soutien du gouvernement fédéral et les régions) débloque un financement pour les Pertes et préjudices, financement additionnel au financement de la coopération au développement et au financement climatique;

4) Que la Belgique veille à l’opérationnalisation effective du Réseau de Santiago, en ce qui comprend l’établissement d’un organe d’avis, représentatif et inclusif, qui puisse prendre des décisions sur la provision d’assistance technique basée sur les besoins sur le terrain.

5) Que la Belgique reconnaisse, dans le cadre du mécanisme international de Varsovie sur les pertes et les préjudices, le problème croissant des déplacés climatiques et la nécessité urgente de trouver des solutions aux niveaux international, régional et national qui respectent les droits humains à tous les stades du déplacement, et mettre en œuvre les recommandations formulées par le groupe de travail sur le déplacement et adoptées lors du sommet climat de Katowice (COP24) ;

Par ailleurs, au niveau européen, le Parlement a voté une résolution4, le 20 octobre dernier par laquelle il « constate la nécessité d’avancer sur la question du financement de la prise en charge des pertes et des préjudices; demande aux parties de s’accorder sur des sources nouvelles, adaptées et supplémentaires de financement public, en privilégiant sans ambiguïté les subventions, aux fins de la prise en charge des pertes et des préjudices liés aux effets néfastes du changement climatique; relève les difficultés intrinsèques à allouer des financements privés à la prise en charge des pertes et des préjudices; demande instamment à l’Union de soutenir de manière constructive, en prévision de la COP27, les propositions de pays en développement en vue de l’établissement d’un mécanisme de financement pour les pertes et les préjudices lors de la COP27, y compris en réfléchissant aux modalités de mise en place d’un tel mécanisme, et en tenant compte des accords institutionnels existants; demande que la prise en charge des pertes et des préjudices soit inscrite en permanence à l’ordre du jour des futures COP, afin de disposer d’un espace de négociation clair pour effectuer un suivi et avancer sur cette question, et réclame le plein déploiement du réseau de Santiago afin de catalyser efficacement l’assistance technique pour prendre dûment en charge les pertes et les préjudices ».

La suite à découvrir lors de la très attendue COP27 de Charm el-Cheikh, le mois prochain !

4Résolution du Parlement européen du 20 octobre 2022 sur la Conférence des Nations unies de 2022 sur le changement climatique, à Charm el-Cheikh (Égypte) (COP27)