J’ai déposé un texte à la Chambre relatif à l’interdiction de la publicité en faveur des énergies fossiles. Jusqu’ici, l’interdiction de publicités existe pour des raisons de santé, avec ce texte ce serait la première fois que la Belgique interdit des publicités pour des raisons climatiques. Je vous explique pourquoi cette interdiction fait sens !
Pourquoi réglementer la publicité ?
Les investissements publicitaires mondiaux ont atteint 723 milliards de dollars en 2021, un chiffre qui devrait croître d’environ 8% en 2022 pour atteindre un montant oscillant entre 740 et 780 milliards de dollars (selon les rapports Advertising Expenditure Forecasts de Zenith Media, publié en juin 2022 , et celui de Dentsu international « Global Ad Spend Forecast »).
Ce serait les secteurs du voyage et de l’automobile sont ceux qui connaissant la plus forte hausse. Les montants dépensés démontrent à quel point il s’agit d’un secteur stratégique qu’il faut réguler.
En effet, la publicité constitue un enjeu, et dans une large mesure un frein, à la transition écologique en raison de son impact environnemental et sociétal mais également parce qu’elle est représentative du modèle de société basé sur le consumérisme dans lequel nous vivons.
La publicité est un outil au service d’un système économique orienté vers la croissance infinie et basé sur la consommation.
La publicité est une composante incontournable d’un modèle économique résolument tourné vers la croissance, elle-même alimentée par la surproduction et la surconsommation. Il s’agit par ailleurs d’un instrument-clé de l’économie de marché, permettant aux entreprises de faire connaître et de promouvoir leurs produits et services et aux consommateurs de disposer d’informations sur ceux-ci. Si elle est parfois mobilisée pour assurer le financement d’initiatives non-commerciales, la finalité de la publicité demeure avant tout de faire connaître une entreprise ou un produit dans le but de déclencher un achat chez le consommateur. Elle encourage donc les comportements liés à la consommation. Or cette finalité entre en contradiction frontale avec les objectifs de la transition écologique. Comme cela a été largement documenté par de nombreux rapports scientifiques, nos modes de vie, de production et de consommation dépassent largement les limites planétaires, en termes de disponibilité des ressources naturelles, de dérèglement climatique ou encore de chute de la biodiversité.
Par ailleurs, la publicité, ne se contente pas de promouvoir seulement un produit ou un service. Elle véhicule également un imaginaire qui lie intrinsèquement qualité de vie et possession de biens matériels. La publicité comporte ainsi une visée transformatrice importante puisque les comportements de consommation sont déterminés par un contexte social et culturel en partie influencé par les logiques marketing, qui contribuent à façonner les mentalités.
Cette dimension est mise en avant dans son avis du Conseil économique et social européen publié en octobre 2021 qui stipule que « En visant à faire toujours plus consommer ce qu’elle promeut, la publicité encourage une surconsommation qui ne correspond pas forcement aux besoins. Les exemples sont nombreux de produits et gadgets dont l’utilité réelle est finalement très limitée, parfois sans commune mesure avec leur impact environnemental. Certains se retrouvent parfois à la poubelle dès la première utilisation. La publicité modèle les besoins et les attentes des individus en fonction des intérêts des diffuseurs, et pas forcément des intérêts collectifs. »
En termes de chiffres, d’après Arnaud Prêtre (professeur en neuromarketing à l’Université Catholique de Lille) nous sommes exposés chaque jour à trois ou quatre messages nous incitant à adopter des comportements écoresponsables contre un nombre, situé entre 1 200 et 2 200 messages publicitaires quotidiens nous poussant à faire exactement l’inverse. Un chiffre qui monte jusqu’à 15 000 stimuli publicitaires commerciaux par jour et par personne si on inclut le placement de produits dans les films, les devantures de magasins, les logos sur les vêtements, etc.
La publicité a un impact direct significatif sur l’environnement
Outre l’enjeu culturel de la société de consommation incompatible avec la transition dont nous avons urgemment besoin, la publicité a aussi un coût direct sur l’environnement. La publicité nécessite des infrastructures de support pour l’affichage public (principalement du mobilier urbain) ainsi que des quantités conséquentes de papier. Elle est en outre à l’origine d’une consommation importante d’énergie, liée à sa diffusion dans les médias en ligne et audiovisuels ou encore à la présence dans l’espace public de panneaux d’affichage numérique (ces derniers consomment près de 2.000 kWh/an par panneau, générant 245 kg équivalent CO2 chaque année, soit l’équivalent de la consommation d’un ménage moyen en France hors chauffage, et nécessitent 8.000 kg de matériaux pour un panneau de 200 kg1)
En encourageant à consommer des produits et services, la publicité crée de nouveaux besoins et incite à la surconsommation. L’impact environnemental de cette surconsommation s’observe tout au long de la chaîne de valeur (extraction des matières premières, production, transport, fin de vie), mais au-delà de la surconsommation et de ses impacts environnementaux, d’autres questions éthiques se posent concernant les conséquences sociétales de la promotion de certains produits dont les conditions de fabrication posent problème, au niveau des conditions de travail des travailleurs et travailleuses, par exemple. Ceci constitue un impact environnemental indirect de la publicité.
La publicité doit donc être régulée
L’ampleur de la crise climatique que connaît l’humanité n’est plus à démontrer. Le premier volet du quatrième rapport du GIEC, publié en août 2021, confirme les causes anthropiques du dérèglement climatique, et documente les effets actuels et à venir des changements qu’il induit. Les changements climatiques sont causés par des émissions de gaz à effet de serre (GES) générés en grandes quantités par les activités humaines, principalement la production d’énergie générée par la combustion de combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel).
La publicité constitue dans ce cadre un des leviers devant être mobilisés pour apporter des réponses à la hauteur du défi environnemental que nous connaissons ainsi qu’aux engagements pris au niveau international, européen et national par la Belgique en la matière tels que la mise en place des stratégies pour réduire drastiquement ses émissions (Accord de Paris), la diminution de 55 % des émissions de GES d’ici 2030 et la neutralité carbone à l’horizon 2050 (Green Deal).
Il apparaît dès lors indispensable d’encadrer davantage la publicité, pour relever le défi climatique. Aujourd’hui, aucune réglementation ne prévoit un encadrement ou une interdiction pour des raisons de d’objectifs au regard de nos obligations climatiques, et aucune remise en question légalement contraignante de la finalité de la publicité n’a vu le jour en Belgique, au contraire d’autres pays comme la France ou certaines villes des Pays-Bas par exemple. L’encadrement de la publicité est un levier central pour la transition écologique.
Interdire les publicité promouvant les énergies fossiles : une nécessité identifiée par la société civile
L’interdiction de la publicité en faveur des énergies fossiles est une nécessité déjà identifiée par plusieurs organisations de la société civile.
Greenpeace, accompagnée de plus de vingt2 autres organisations, a lancé une initiative citoyenne européenne (un mécanisme européen permettant aux citoyen.ne.s de l’Union de contraindre la Commission européenne d’examiner un sujet à condition que l’initiative recueille un million de signatures en un an, dans au moins sept pays de l’Union européenne).
Cette initiative citoyenne, clôturée depuis le 4 octobre 2022, a pour objectif d’inciter la Commission à proposer un acte législatif de l’UE afin d’interdire les combustibles fossiles et a recueilli près de 350 000 signatures.
Outre cette initiative citoyenne, Greenpeace constatait dans un rapport international coréalisé avec the New Weather Institute que la publicité pour les voitures et l’aviation en 2019 pouvait être responsable d’une quantité d’émissions de gaz à effets de serres (dont du CO2) comprise entre 202 et 606 millions de tonnes.
Greenpeace Pays-Bas a, de son côté, commandé une étude auprès du groupe de recherche DeSmog intitulée « Words vs Actions ». Cette étude, publiée en octobre 2021, consistait en une analyse de plus de 3034 publicités et promotions sur Twitter, Facebook, Instagram et Youtube de six entreprises de combustibles pour comprendre le volume et la gravité du greenwashing à travers l’Europe. Toujours d’après cette étude, l’entreprise ayant le plus de publicités et de promotions en faveur des combustibles fossiles est Repsol (36% des publicités et promotions évaluées de Repsol).
Une autre étude menée cette fois-ci par InfluenceMap, concluait que les grandes entreprises pétrolières et gazières dépensent des millions de dollars se présenter comme pro-climat mais ne consacrent que 12 % de leur capital à des projets à faible émission de carbone.
L’interdiction de la publicité en faveur des énergies fossiles fait donc sens, outre son impact environnemental, à l’heure où le greenwashing est une pratique devenue monnaie courante pour des entreprises en grande partie responsable des émissions de GES actuelles, pour améliorer leur image.
Le comité économique et social européen soutient aussi la régulation
Dans son avis d’initiative publié en octobre 2021, ce Conseil soutien des démarches d’autorégulation du secteur, mais stipule aussi que « le CESE reconnaît que pour certains types de produits particulièrement impactants à l’exemple des combustibles fossiles, des formes de régulation plus forte peuvent être envisagées.»
Un pas déjà franchi chez nos voisins
En France, la loi Climat, relative à la limitation des impacts négatifs de la publicité a été votée en 2021, une mesure revendiquée par la Convention citoyenne pour le climat. Ainsi, depuis le 22 août 2022, il n’est plus permis aux entreprises de faire de la publicité pour les énergies fossiles à savoir les produits pétroliers, les énergies issues du charbon minier et l’hydrogène carboné. Le gaz, en revanche, bénéficie d’une exemption temporaire et verra sa publicité autorisée jusqu’au 30 juin 2023.
Des organisations de la société civile françaises regrettent toutefois le manque d’ambition du texte3. D’après ces dernières, l’interdiction devrait être élargie aux transports aériens, routiers et par voie d’eau alimentés par des combustibles fossiles.
Une loi inédite en Belgique … qui n’est qu’un premier pas
La proposition de loi relative à l’interdiction de la publicité en faveur des énergies fossiles déposée par Ecolo-Groen fonde l’interdiction sur base des objectifs climatiques de la Belgique. A ce titre, c’est une innovation.
Ce texte s’inscrit également dans la volonté de limiter la promotion de produits qui sont néfastes pour notre santé et une stratégie plus large de lutte contre la pollution de l’air : en 2018, au niveau mondial, 8,7 millions de personnes sont mortes à cause de la pollution de l’air, c’est davantage que le tabagisme. En Europe, le nombre de décès était de 307 000 en 2019, dont environ 7 500 en Belgique.
Cela étant, bien que cette loi soit inédite en raison des objectifs poursuivis, cette dernière n’est pas assez ambitieuse. En effet, elle ne vise que les énergies fossiles, et pas la publicité pour les produits dérivés des énergies fossiles (une autre loi portée par les écologistes existe et vise les publicités pour les voitures les plus polluantes)
C’est pour cela qu’avec mes collègues nous avons déposé une proposition de résolution complémentaire. Par le biais de cette résolution, nous demandons au gouvernement fédéral :
1. d’étudier comment la place, dans l’espace public, de la publicité et des événements de marketing pour des produits et des services à l’empreinte climatique élevée pourrait être réduite, de commencer par l’instauration d’une interdiction légale de la publicité pour des offres promotionnelles relatives à des voyages en avion et à des véhicules polluants équipés d’un moteur à combustion, ainsi que pour des entreprises dont l’activité principale est le raffinage, la distribution et la vente de carburants fossiles;
2. d’étudier dans quelle mesure une interdiction des publicités de cette nature pourrait induire un changement de comportement chez les consommateurs;
3. de présenter les conclusions de ces deux études à la Chambre des représentants avant le mois de mai 2023;
4. de lancer et de stimuler des campagnes éducatives relatives à l’utilisation de solutions alternatives non fossiles
5. de plaider, au niveau européen, pour un acte législatif européen visant à instaurer une interdiction de la publicité pour les carburants fossiles et des parrainages émanant d’entreprises dont l’activité principale est le raffinage, la distribution et la vente de carburants fossiles.