La campagne « Octobre Rose » est une campagne annuelle de prévention du cancer du sein et de récolte de fonds pour la recherche et la prise en charge des patientes.

Dans ce cadre, de nombreuses initiatives sont prises, en plus du port du ruban rose, telles que de l’information sur le dépistage ainsi que des actions de récolte de fonds. Parmi elles, la course Race for the Cure, organisée par Think Pink au niveau national, et organisée au niveau local par de nombreuses villes et communes.

C’est le cas de ma commune (Forest), et avec les collègues, nous participons à la course.

Le cancer du sein (en fait les cancers du sein, car il y en a de différentes sortes) touche 1 femme sur 8 en Belgique. Si aujourd’hui, 5 ans après un diagnostic de cancer du sein, 90 % des femmes sont toujours en vie, on compte encore 5 à 6 décès liés à ce cancer par jour dans notre pays. Bref, oui, ces cancers, comme les autres d’ailleurs, méritent notre mobilisation.

Ceci étant, ce type de campagne nous laisse, comme écologistes, bien entendu sur notre faim.

Regardons d’abord les sponsors… quand les multinationales s’accommodent de la maladie…

De nombreuses grandes entreprises soutiennent la campagne Octobre Rose. Des entreprises dont les pratiques laissent à tout le moins désirer quand il s’agit de santé, et de santé des femmes en particulier. Prenons l’exemple de la chaîne de produits cosmétiques « Ici Paris-XL ». Cette chaîne, multinationale, distribue de très nombreuses marques dont les produits contiennent notamment des perturbateurs endocriniens. Pour rappel, les perturbateurs endocriniens sont présents dans beaucoup de produits (dont les cosmétiques), et causent de nombreuses maladies (tant chez les hommes que chez les femmes), dont des cancers, en ce compris le cancer du sein, mais aussi du col de l’utérus ou autres maladies invalidant les femmes comme des fibromes utérins ou l’endométriose. Bref, on est assez loin d’une cohérence entre l’objectif et les moyens. https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/naped_2022_06_20_fr.pdf

Regardons la communication… quand les causes du cancer ne sont pas abordées… Comme d’autres campagnes de récolte de fonds (on pense notamment à la campagne de lutte contre la pauvreté Viva For Life), la campagne Octobre Rose tend à invisibiliser les enjeux structurels liés à la cause qu’elle défend. En effet, la campagne n’approche à aucun moment les enjeux structurels de la santé des femmes. Si l’accent est mis sur le diagnostic précoce et les soins de santé, les déterminants socio-économiques et environnementaux de la santé et le sous-financement de la recherche et des soins de santé sont totalement invisibilisés.

Or, on le sait, au moins 10 % des cancers au niveau européen ont une cause environnementale (https://www.eea.europa.eu/publications/environmental-burden-of-cancer), les déterminants sociaux (revenus, accès à la protection sociale, environnement familial, etc.) sont déterminants dans la capacité des personnes à être en bonne santé et à se soigner efficacement, nous sommes confrontés à une crise des soins de santé majeure et la recherche manque cruellement de soutien public.

Il est donc assez fascinant de voir les entreprises et les autorités politiques de tous les partis se parer de rose en Octobre, tout en empêchant, pour beaucoup d’entre-eux, toute avancée significative permettant de renforcer la santé des populations.

Et enfin… tout ce rose… quand le patriarcat n’est jamais loin…

Comme il s’agit d’un cancer essentiellement féminin (99 % des cas), tout est rose. Par ailleurs, comme il touche aux seins, tout un imaginaire est construit à travers la campagne : photos de femmes sponsors dénudées, grande mise en avant du « besoin » (largement créé) pour les femmes malades d’être « belles », « soignées »… L’enveloppe « glamour » de cette campagne (qu’on ne voit pas pour d’autres cancers dont les dégâts sont similaires) fait ainsi écho au sexisme ambiant de nos sociétés.

Et là aussi, il invisibilise une réalité pas si rose : les inégalités de genre sont omniprésentes quant il s’agit (aussi) de cancer. Le patriarcat domine les soins, la recherche et l’élaboration des politiques en matière de cancer. Ces inégalités se déclinent à tous les niveaux. Notons que les personnes en position de pouvoir décident quels aspects de ces domaines sont prioritaires, financés et étudiés, laissant souvent la santé des femmes sous-investie. En matière de prévention, on notera que le cancer chez les femmes se prête moins bien à la prévention primaire que le cancer chez les hommes (et même les causes du cancer du sein, le cancer le plus fréquent chez les femmes dans le monde, sont mal comprises). Par ailleurs, en matière d’impacts financiers, on notera que les femmes sont plus susceptibles de subir une catastrophe financière due au cancer, avec des conséquences désastreuses pour leur famille (et ce même si des soins anticancéreux de qualité sont disponibles). Enfin, sans surprise, dans le secteur des soins de santé liés aux cancers, les soignant.e.s de première ligne sont majoritairement des femmes, sous-payées et trop souvent soumises à des discriminations sévères tel que le harcèlement sexuel. Et pour finir, notons que les soins non rémunérés prodigués aux personnes atteintes d’un cancer sont en grande partie assurés par des femmes, dont l’apport à la société est invisibilisé. Mais tout ce rose nous empêche de voir tout cela… (Ces derniers éléments sont mis en avant ici : https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(23)01701-4/fulltext )

Alors, comme écologiste, je soutiens bien-sûr ce type de campagne (par sympathie et par respect pour celles et ceux qui se mobilisent, et parce que je sais que les associations qui bénéficieront des fonds en feront très bon usage au service de la communauté), mais cela ne me fera jamais oublier que notre rôle face au cancer du sein, au cancer en général, et la santé dans son ensemble, reste de :

– lutter pour un environnement sain ;

– lutter contre la pauvreté et autres mécanismes qui éloignent les personnes d’une vie en santé ;

– lutter pour le refinancement des soins de santé (et leur organisation optimale) ;

– veiller à ce que la recherche ait les moyens publics nécessaires pour faire évoluer les traitements ;

– lutter pour l’égalité entre les femmes et les hommes, aussi face au cancer !

Et cela ne m’empêchera pas non plus de dénoncer le « Pink-Washing » quand je verrai celleux qui nous empêchent d’avancer arborer fièrement le ruban rose.

En attendant, toute ma solidarité avec les personnes malades, leurs accompagnant.e.s , leurs soignant.e.s, et les personnes que la maladie a laissé endeuillées!