Défendre le droit à une IVG sûre et légale, c’est quoi ?

Suite à la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis d’annuler l’arrêt Roe vs Wade de 1973 qui garantissait depuis un demi siècle le droit constitutionnel du recours à l’avortement, on est amenéEs à acter, une fois encore, et de façon de plus en plus inquiétante, les attaques portées à ce droit humain fondamental.

En effet, alors que l’ONU publiait en mars 2022 ses nouvelles lignes directrices sur l’avortement (recommandant notamment de supprimer les obstacles politiques à l’avortement sécurisé tels que la criminalisation, les périodes d’attente obligatoires, l’obligation d’obtenir l’autorisation de tiers ou d’institutions et les limites quant au moment de la grossesse où l’avortement peut être pratiqué), on doit se rendre compte que ce droit des femmes à disposer de leur corps n’est jamais acquis, et que si il avance (enfin) dans certains pays, il recule dans d’autres.

(https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115992).

Une grossesse sur quatre se termine par un avortement chaque année. Les avortements non sécurisés sont à l’origine d’environ 39.000 décès chaque année et entraînent l’hospitalisation de millions de femmes supplémentaires en raison de complications. La plupart de ces décès sont concentrés dans les pays à revenu faible – plus de 60% en Afrique et 30% en Asie – et parmi les personnes les plus vulnérables.

Les données montrent que les restrictions en matière d’accès à l’avortement ne permettent pas de réduire le nombre d’avortements. En réalité, les restrictions sont plus susceptibles d’inciter les femmes et les filles à avoir recours à des procédures dangereuses.

Où en sommes-nous en Europe ?

Sur 27 États membres, 24 pays de l’Union européenne ont légalisé ou dépénalisé l’avortement, sans besoin de justification de la part de la femme qui décide de recourir à l’IVG. Le délai maximal pour avorter varie de 10 semaines d’aménorrhée (au Portugal) à 24 semaines (aux Pays-Bas), plus de la moitié des pays ayant fixé cette limite à 12 semaines.

Parmi les États membres de l’Union européenne, il n’y a qu’à Malte où l’IVG est totalement interdite, quelle que soit la situation. Les femmes ayant avorté et les médecins ayant pratiqué une IVG, risquent jusqu’à 3 ans de prison ferme.

En Pologne, l’avortement n’est autorisé qu’en de cas de viol ou de danger pour la vie de la mère depuis janvier 2021. Après avoir tenté de l’interdire totalement en 2016, le gouvernement l’a restreint en supprimant la possibilité d’avorter en cas de malformation grave du fœtus, qui concernait plus de 90 % des raisons données pour les IVG dans ce pays.

Et dans le monde ?

Si la plupart des pays autorisent l’avortement dans des circonstances déterminées, souvent extrêmement restrictives, une vingtaine de pays ne prévoient aucune justification légale pour l’avortement. Plus de trois pays sur quatre prévoient des sanctions juridiques en cas d’avortement, qui peuvent aller jusqu’à de longues peines de prison ou de lourdes amendes pour les personnes qui pratiquent l’intervention ou y participent.

Dans le monde, plus de 40 % des femmes en âge de concevoir vivent dans des États aux lois restrictives.

Alors, concrètement, on doit défendre et soutenir ce doit. Cela veut dire quoi ?

1) Elargir ce droit chez nous.

Actuellement, en Belgique, l’IVG est accessible jusqu’à 12 semaines de grossesse (14 semaines d’aménorrhée), après un délais de 6 jours de réflexion. Des sanctions pénales sont toujours possibles pour les femmes (et leur médecins) si elles décident de faire une IVG en dehors de ce cadre.

Une proposition de loi visant un allongement jusqu’à 18 semaines de grossesse, la réduction du délai de réflexion à 48h et la fin des sanctions pénales (pour les femmes et les médecins) a obtenu la majorité en commission à la Chambre en été 2020. Mais, après plusieurs manœuvres dilatoires du CDH, du CDV, de la NVA et du Belang, pour bloquer le vote en plénière, un accord de majorité a pu être trouvé, avec le CDV qui a mis comme condition de devoir faire une étude avant toute avancée sur des dossiers dits « éthiques ». L’étude est en cours. Les résultats sont attendus pour fin 2022.

Si cet accord de majorité s’est fait (en partie) sur le dos (ou le ventre) des femmes, on doit bien garder l’objectif qui est à la fois de garantir ce droit à toutes les femmes qui en ont besoin (et cela passe nécessairement par un allongement de la période) et une rupture définitive avec l’idée qu’une IVG peut être un crime susceptible de sanctions pénales. On doit pouvoir aboutir. On a une majorité parlementaire pour !

Aujourd’hui, plus que jamais, étendre ce droit est nécessaire. En effet, plus ce droit sera restreint ailleurs, plus il faudra un cadre adéquat chez nous pour accueillir les femmes qui en auront besoin.

Les règles en vigueur concernant l’avortement en Belgique : https://www.planningsfps.be/nos-dossiers-thematiques/dossier-interruption-de-grossesse-ivg/

2) Sécuriser ce droit chez nous

A ce titre, un ancrage dans la constitution nous semble une route nécessaire. Plusieurs options s’offrent à nous. On peut viser le droit à la vie privée (dont l’article est ouvert à révision), mais aussi bien sûr le droit à la santé ou l’égalité entre les femmes et les hommes. Avec ma collègue Claire Hugon, et les partenaires qui souhaitent aller dans ce direction, nous commençons ce travail.

3) Garantir l’effectivité de ce droit chez nous

On le sait, deux obstacles (au moins) se présentent à nous. Le manque de médecins engagés dans ce type de soin de santé (peu de formations spécifiques et peu de valorisation) et certains hôpitaux qui limitent ce type de soin. On doit impérativement avancer sur ces deux points.

Garantir l’effectivité passe aussi par un soutien renouvelé des acteurs qui pratiquent les IVG, à savoir les hôpitaux et les centres de planning familial.

4) Sensibiliser largement à ce droit fondamental

Cela doit se faire, partout et tout le temps. Avec l’école en premier plan, notamment (mais pas que) à travers l’EVRAS. Un travail est en cours au niveau de la Fédération et de la COCOF (à l’initiative de Barbara Tracht) pour revoir les contenus et veiller à leur généralisation. Mes collègues Margaux De Ré et Hélène Ryckmans y travaillent.

5) Solidarité avec les femmes européennes

Garantir le droit à l’IVG chez nous est fondamental. Mais pas suffisant. Tant que toutes les femmes n’ont pas accès à une IVG sûre et légale, nous devons nous montrer solidaires.

Des initiatives sont déjà prises, notamment celle portée par la Secrétaire d’État Sarah Schlitz et le ministre Vandenbroucke, qui financent l’asbl « Abortion Without Borders » pour permettre aux femmes polonaises qui ont besoin d’une IVG de se rendre dans un pays qui la pratique.

Ce type d’initiatives doivent être renforcées et étendues.

6) Solidarité avec les femmes du monde entier.

La communauté internationale s’est engagée, avec l’Agenda 2030 pour le développement durable, à réaliser l’accès universel à la santé sexuelle et reproductive (ODD3).

Or, aujourd’hui, chaque année, il nous manque 6 milliards de dollars pour répondre aux besoins des adolescentes et des femmes en matière de contraception et trop de femmes n’ont pas accès à l’avortement.

Nous avons des leviers pour défendre ce droit au niveau international. Notamment à travers la coopération au développement. Actuellement, la Coopération au développement octroie 141,59 millions € de son APD à la Santé, y compris la santé sexuelle et reproductive, soit 11,73 % de son APD (contre 11,07 en 2019). 66,9 millions sont directement affectés à la santé sexuelle et reproductive (soit un peu moins de la moitié).

Sensoa recommande de poursuivre notre trajectoire de croissance et continuer d’augmenter les dépenses allouées à la coopération internationale en faveur de la santé, y compris de la santé et des droits sexuels et reproductifs, jusqu’à atteindre 15 % de toutes les dépenses affectées à la coopération internationale.

En bref, il nous reste du travail pour faire de l’IVG un droit pour toutes les femmes, chez nous et ailleurs.

On y travaille !