Le contexte actuel de guerre en Ukraine, qui s’ajoute à la crise climatique et la crise sanitaire, nous pousse à s’arrêter une fois encore sur la question de la sécurité et la souveraineté alimentaire, notamment des pays du Sud.

C’est ce que j’ai fait en interpellant la Ministre de la Coopération belge, ce mercredi 22 mars.

La faim touche aujourd’hui une personne sur dix. La récession liée au COVID a renforcé l’extrême pauvreté et fait exploser la faim. Mais plus structurellement, l’effondrement de la biodiversité, le changement climatique ainsi que les règles du commerce international pèsent lourdement sur les agriculteurs et agricultrices du Sud, qui sont les premières victimes de la faim.

Pour rappel, la faim ré-augmente depuis 2014, et on estime que la crise du COVID a ajouté encore 118 millions de personnes au nombre des victimes de la faim. (source : https://www.fao.org/3/cb4474fr/online/cb4474fr.html)

La guerre en Ukraine aggrave encore la situation. En effet, la Russie et l’Ukraine étant parmi les plus gros exportateurs de céréales (blé, maïs, orge) mais aussi de colza et de tournesol, les cours des matières premières alimentaires atteignent de nouveaux records, plus hauts encore que lors de la crise de la faim de 2008.

Le secrétaire général de l’ONU a déjà mis en garde contre un « ouragan de famines » dans de nombreux pays. Le directeur du PAM (Programme alimentaire mondial) a souligné que « le monde est déjà confronté à un niveau sans précédent de famine, les balles et les bombes en Ukraine peuvent amener la crise alimentaire mondiale à des niveaux jamais vus auparavant ». La FAO quant à elle souligne que la guerre pourrait faire souffrir de la faim 8 à 13 millions de personnes supplémentaires et pointe particulièrement 26 pays vulnérables d’Afrique, du Moyen- Orient et d’Asie qui dépendent à plus de 50% de la Russie et de l’Ukraine pour leurs importations de blé.

Face à ce constat dramatique, que fait la Belgique ?

Dans sa note de politique générale, la Ministre de la coopération au développement, Madame Kitir, renouvelle l’engagement pris par la Belgique en 2008 (lors de la crise de la faim) de consacrer 15 % de la coopération officielle au développement à l’agriculture et à la sécurité alimentaire.

Pourtant, les montants affectés effectivement à l’agriculture et la sécurité alimentaire continuent de décroître, pour atteindre 12 % en 2019 et 10,8 % en 2020.

Par ailleurs, dans sa note de politique apparaît aussi l’engagement de porter une attention particulière à l’appui aux petites exploitations agricoles, à investir dans l’agroécologie et à mettre en place des systèmes durables. Dans ce cadre, elle a mis à jour la note stratégique sur l’agriculture et la sécurité alimentaire (faite en 2017 sous son prédécesseur, Alexander Decroo avec de forts accents libéraux), non pas en la reformulant, mais en ajoutant une note complémentaire avec des « accents » (accents très intéressants tels que le soutien des méthodes agroécologiques et autres méthodes durables novatrices pour des systèmes alimentaires durables ayant un impact neutre ou positif sur l’environnement et le climat, une approche inclusive et la favorisation de l’accès à une alimentation saine, de qualité et abordable).

Vu la crise actuelle et les premières expressions appelant à postposer la transition de nos systèmes alimentaires, j’ai souhaité interpeller la ministre en posant les questions suivantes :

– Comment se passe la mise en application des nouveaux accents ? Quels sont les projets d’aide bilatérale (avec EBABEL) qui ont ou qui vont réorienter leur approche sur base de cette nouvelle ligne ?

– Ces accents seront-ils intégrés dans les lettres d’instruction des futurs portefeuilles ? (Maroc, Bénin, Burkina, Guinée, Burundi, Rwanda, Sénégal).

– Enfin, la note a-t-elle aussi été partagée avec BIO (la banque belge de développement)?

La Ministre a confirmé les chiffres, inférieurs aux objectifs de 15 % de l’aide publique, mais a aussi pu montrer comment l’agroécologie et les systèmes alimentaires durables sont intégrés dans les portefeuilles des différents acteurs de la coopération au développement.

On sait que les ONG sont des acteurs clés de l’agroécologie, mais la réponse de la Ministre montre comment Enabel, mais aussi BIO, opèrent ce shift. Elle a pu souligner que les portefeuilles suivants intègrent maintenant des axes agroécologiques : RDC, Ouganda, Mozambique, Sénégal, Bénin, Mali, Niger. Très intéressant aussi, la Ministre a pu souligner que BIO évitera d’investir dans des cultures orientées vers l’exportation, que les investissements dans les biocarburants de première génération ne sont plus possibles et enfin que BIO accroîtra sa part d’investissements dans les petites organisations agricoles locales.

J’ai dès lors pu saluer les efforts fournis !

Néanmoins, j’ai insisté sur la nécessité d’augmenter les montants de la lutte contre la faim pour atteindre nos engagements d’atteindre 15 % de notre aide publique au développement.

J’ai aussi appelé à lutter contre le narratif qui se profile dans ce contexte de crise alimentaire liée à la guerre en Ukraine, à savoir de renoncer aux objectifs du Greendeal et de retomber dans le fantasme de l’agriculture intensive qui épuise les sols, la biodiversité et perturbe le climat.

Une agriculture familiale et durable est capable de nourrir la population mondiale et permettra aux générations futures d’également se nourrir. Défendre le Green Deal européen est le meilleur moyen de permettre à l’Europe de jouer un rôle positif sur la sécurité alimentaire dans le monde. On se doit de soutenir la transition agroécologique des agricultures du Sud et renforcer les systèmes alimentaires territorialisés et diversifiés. C’est ce qui permettra aux populations du Sud (et chez nous!) d’être plus résilients aux chocs -climatiques, géopolitiques, économiques ou pandémiques – moins dépendants aux énergies fossiles et d’avoir accès à une alimentation suffisante en quantité et qualité.

Plus d’info ? Je vous renvoie notamment au travail de la Coalition contre la Faim : https://www.coalitioncontrelafaim.be/