Un nouveau NAPAN (2023-2027) est actuellement en phase de consultation publique (jusqu’au 20 mars compris). Je vous explique ici ce que c’est, mais surtout mon analyse du projet. Cela peut vous motiver et vous aider à répondre vous aussi à l’enquête
Qu’est ce que le NAPAN ?
« NAPAN » signifie « Nationaal Actie Plan d’Action National ». Il s’agit du Plan d’action national belge de réduction des pesticides (produits phytopharmaceutiques et biocides). Il incombe à chaque État membre de l’UE d’élaborer un tel plan d’action national dans le cadre de la Directive 2009/128/CE dans le but de parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.
En Belgique, les autorités fédérales et régionales, chacune dans les limites de leurs compétences, sont responsables de la mise en œuvre du NAPAN au moyen de programmes quinquennaux successifs.
Le NAPAN comprend donc un Plan fédéral de réduction des produits phytopharmaceutiques, et trois plans régionaux (Flandre, Wallonie et Bruxelles).
Une large consultation a eu lieu pour sa rédaction : 33 parties prenantes (y compris, bien sûr, les lobbies du phytopharma).
Le projet de NAPAN complet se trouve ici : https://cdn.bosa.belighted.com/bosa-cities/uploads/decidim/attachment/file/569/NAPAN_2023-2027_fr.pdf
La consultation se passe ici: https://napan.monopinion.belgium.be/?locale=fr
Pourquoi un NAPAN est-il important ?
Pour des raisons environnementales bien sûr !
On le sait, la biodiversité subit une crise majeure. Les scientifiques parlent d’une 6e extinction de masse. Parmi les différentes causes avérées de l’effondrement des écosystèmes se trouve les pollutions chimiques.
Récemment, le Stockolm Recilience Center identifiait qu’une 5e limite planétaire est dépassée (5 sur 9), celle des pollutions chimiques.
Si on ne regarde rien qu’au niveau Belge, le dernier rapport de l’OCDE sur nos performances environnementales stipule que : « de nombreuses espèces sont menacées, et la situation s’est détériorée au cours de la dernière décennie (…) L’état de conservation des habitats et des espèces est préoccupant. Plus de 33 % des espèces de poissons d’eau douce, près de 30 % des espèces d’oiseaux et plus de 20 % des espèces de plantes vasculaires et de mammifères sont menacées. Les populations d’oiseaux sur les terres agricoles ont diminué de moitié depuis 2000, soit la pire dégradation enregistrée dans la zone OCDE. (…) Les populations forestières d’oiseaux ont diminué de près de 20 % depuis 2000. Il s’agit là aussi de la pire dégradation enregistrée dans la zone OCDE. Quelque 30 % de la partie belge de la mer du Nord n’atteignent pas l’objectif de bon état écologique fixé pour 2020 par la directive-cadre de l’UE « Stratégie pour le milieu marin », en particulier les eaux côtières. »
Mais aussi pour des raisons de santé !
Le lien entre les pesticides et la santé humaine est largement documenté. On sait que les pesticides sont des perturbateurs endocriniens et ont des effets multiples sur la santé des agriculteurs, des riverain.e.s, des usagers (cancers, maladies dégénératives, etc.).
Ce lien est notamment rappelé dans le Plan national sur les perturbateurs endocriniens et dans le dernier baromètre belge sur le cancer.
Le coût que cela représente est considérable. Le Plan d’action sur les perturbateurs endocriniens rappelle que « Ces coûts sont néanmoins bien réels et doivent être pris en compte au même titre que les indicateurs complémentaires au Produit Intérieur Brut (PIB). La majorité des coûts sur la Santé est estimée provenir d’une exposition aux pesticides. En Belgique, le préjudice a été estimé à 4,4 milliards d’euros par an. »
Dans quel cadre sort ce NAPAN ?
La Belgique en est un intense consommatrice de pesticides…
Le dernier rapport de l’OCDE mentionne que les ventes de pesticides et le bilan azoté par hectare comptent parmi les plus élevés de l’OCDE. D’après la FAO, la Belgique est dans le trio de tête au niveau Européen, avec un usage de plus de 6 kg par hectare de terre cultivée. (https://www.fao.org/faostat/en/#data/EP/visualize)
La Belgique octroie des dérogations pour des pesticides interdits au niveau européen
Outre que la Belgique compte parmi les plus gros consommateurs de pesticides de l’OCDE, elle compte aussi parmi ceux qui donnent le plus de dérogations pour l’usage de pesticides interdits au niveau européen parce que trop dangereux pour l’environnement et/ou la santé.
Entre 2011 et 2019, on est passé de 8 substances sous dérogations à 27 ! (https://www.iew.be/sonnez-hautbois-resonnez-musettes-la-belgique-declare-la-guerre-aux-pesticides/?fbclid=IwAR1PRIU5H-Ph7dLnVFYbH6b4MP7lWIOaUJ6U-_CiMlzMYZOLoE6h9H5LOXI )
La Belgique exportation de pesticides interdits
Enfin, la Belgique reste championne de l’exportation de produits interdits au niveau européen. J’ai déjà mis cela en avant ici : Lien mon article sur exportation
Pourtant, on doit faire mieux !
L’Europe, dans sa stratégie Biodiversité et sa stratégie « Farm to Fork », exige de réduire de 50 % l’usage des pesticides et les risques liés aux pesticides.
Au niveau belge, l’accord de majorité précise que « Le gouvernement réalisera un ambitieux plan de réduction des pesticides, en portant une attention particulière aux entreprises (agricoles) belges afin qu’elles ne soient pas placées dans une position concurrentielle défavorable. En concertation avec le entités fédérées compétentes, l’innovation substitutive et la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sera également encouragée pour tendre résolument vers toujours plus de respect de l’environnement et de la santé, notamment pour ce qui concerne les produits relevant de la politique agricole. Dans le débat mené au sein de la DGE, le gouvernement fédéral adoptera une attitude ambitieuse en vue de réduire les matières chimiques. »
Que retenir du projet de NAPAN
Au vu de ces éléments, on s’attend à ce que le NAPAN offre des perspectives ambitieuses !
Pourtant, c’est loin d’être le cas. Je me concentrerai ici sur le volet fédéral, nommé « Plan Fédéral de Réduction des Produits phytopharmaceutiques (PFRP) ».
En résumé, je signalerai 4 choses :
1. On ne nomme pas les choses :
Le Plan ne semble pas s’inscrire dans les crises actuelles, crise climatique, crise de la biodiversité, impact sur la santé humaine, et encore moins chercher à y répondre. Les objectifs européens de diminution ne sont pas mentionnés. On parle prudemment de « liens éventuels » entre expositions chroniques et risques sur la santé, de « possibles risques » pour les abeilles, etc. Une telle prudence montre la difficulté à s’attaquer de façon adéquate aux défis.
2. On informe, on régule, mais on ne limite pas.
On ne trouve rien dans le NAPAN sur des interdictions nouvelles, même ciblées. Ni pour les usagers privés, ni professionnels. On va informer le grand publics, les professionnels, les usagers privés, sur les risques, c’est tout. La responsabilité de la réduction reste sur leurs épaules.
On mentionne qu’il ne faut utiliser les pesticides « que si c’est nécessaire » sans mentionner comment on établit la nécessité. On conviendra que la notion de nécessité est très limitée concernant les usagers amateurs.
On ne concrétise même pas la NPG du ministre Clarinval qui annonce de nouvelles restrictions pour les usages privés, ni les recommandations du Conseil supérieur de la Santé (comme par exemple sur l’usage du Glyphosate). Il est bien évident que le NAPAN n’empêche en rien des initiatives légistiques d’être prises, mais il me semble que ne pas mentionner les avancées nécessaires à ce titre est significatif.
3. On oublie des dimensions
On ne trouve rien sur l’exportation des pesticides interdits en Europe, ni sur les dérogations, ni sur les positions à tenir au niveau international.
4. Sur le processus :
On doit remarquer que la consultation n’est pas réellement accessible au publique, elle est technique et sinueuse. Par ailleurs, on notera que la ministre fédérale de l’environnement n’est pas consultée formellement pour la rédaction du NAPAN, ce qui est difficilement compréhensible vu les nombreux effets sur l’environnement.
Analyse plus détaillée (pouvant faciliter la participation à l’enquête publique)
1. Formation pour les professionnels
Ce chapitre ne porte au fait que sur le système d’octroi de phytolicences. (Pour rappel, la phytolicence est le système de certification obligatoire pour environ 75 000 utilisateurs professionnels, distributeurs et conseillers de produits phytopharmaceutiques.)
Limite : L’accent est mis sur la dimension administrative. Pas sur la dimension sensibilisation et formation. En lisant, il semble qu’il suffit de demander en ligne, et hop ! On a l’autorisation de l’usage.
Proposition : Ajouter une notification des risques spécifiques pour la biodiversité et la santé de chaque produit pour lesquels la phytolicence est octroyée.
2. Vente des produits pharmaceutiques
2.1 – Information à usage amateur
Deux actions sont prévues : une campagne de sensibilisation en 2026 (qui se basera sur les recommandations du guide de bonne pratique sur l’usage des pesticides) et stimuler des distributeurs à être créatifs.
Limites :
– Une campagne en 2026 paraît limité. Le guide sur lequel elle se fondera parle de « risques pour la santé et l’environnement » sans les nommer. On ne parle pas d’effondrement des éco-systèmes, on ne parle pas des effets des perturbateurs endocriniens sur la santé. On ne parle pas non-plus de l’objectif européen de diminuer de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2030. Le guide mentionne : « Avant tout achat de pesticide, vous devez avant tout évaluer le risque pour l’environnement, et vous assurer qu’il est limité et acceptable ». Ce type d’analyse de risque ne peut décemment pas être fait de façon adéquate par l’usager privé !
Par ailleurs, demander aux distributeurs d’être créatifs… pour vendre moins de produits paraît assez naïf, surtout quand on sait que les distributeurs mettent encore très largement en avant des spots promotionnels pour des pesticides dont on connaît la dangerosité.
Mais surtout, on ne trouve pas la concrétisation de la NPG du Ministre Clarinval qui annonce de nouvelles restrictions sur les produits phytopharmaceutiques à usage non professionnel et un cadre pour les ventes par internet.
Propositions :
– Limiter l’accès aux pesticides dans les magasins (dans des vitrines fermées)
– Interdire tout type de promotion pour les pesticides
– Interdire la vente des pesticides reconnus perturbateurs endocriniens et nocifs pour les abeilles
– Interdire ou au moins limiter la vente en ligne pour les particuliers
2.2 – Disponibilité de conseillers certifiés dans les points de ventes grand-public
L’action proposée vise à soutenir le Call center. Pour rappel, les utilisateurs non professionnels de produits phytopharmaceutiques peuvent s’adresser à un Call Center pour leurs questions concernant l’usage des produits phytopharmaceutiques (au numéro gratuit 0800 62 604).
Limite : Ce Call Center est une initiative des producteurs et distributeurs de produits phytopharmaceutiques. On se doute que l’information peut difficilement viser un usage de zéro pesticide, ce qui devrait être l’ambition. Par ailleurs, la démarche est lourde pour l’acheteur de devoir appeler lors de son achat.
Proposition : Renforcer le cahier des charges des conseillers avec la mise au point d’un message « zéro pesticide ».
2.3 – Vente de produits réservés à un usage strictement professionnel
Ici on propose de poursuivre les contrôles pour vérifier si les vendeurs contrôlent la validité des phytolicences (via la page web d’enregistrement) et enregistrent correctement chaque vente. Bref, on annonce juste que le SPF va faire son travail !
Limite : on ne précise pas si on va augmenter les contrôles.
3. Information et sensibilisation générale en matière de pesticides et d’alternatives
3.1 – Fourniture d’informations équilibrées
On propose ici de mettre à jour le site de Phytoweb en 2025.
Limites :
– Pourquoi 2025 ?
– Le site Phytoweb assez technique et orienté. On tombe sur des propos de type « utiliser les produits que si nécessaire » ; la notion de nécessité n’est jamais clarifiée !
– Il existe divers sites internet de référence: régions et fédéral… très complexe.
Propositions :
– A chaque sortie de nouvelles études, la mise à jour devrait être faite !
– Faciliter l’accès aux informations par le grand public.
– Assurer une réelle camarine de sensibilisation sur les effets des pesticides sur l’environnement et la santé.
3.2. Systèmes de collecte d’informations concernant les cas d’empoisonnement
Plusieurs actions sont proposées en matières de collectes de données sur l’usage, sur les intoxications, les expositions chroniques, etc.
Limites :
– On ne voit pas clairement comment l’État va renforcer sa collecte de données sur base des enregistrements des utilisateurs professionnels, c’est pourtant une obligation et le cadre reste vague.
– On parle de mieux informer les usagers sur les équipements à porter pour diminuer les risques. Cela paraît nécessaire quand on lit une étude scientifique, Pestexpo (menée par l’ISERM et l’Université de Caen) qui montre que la protection réelle des équipements de protection est faible. Mettre la responsabilité sur les agriculteurs en se contenant de « mieux les informer » paraît un peu léger.
– Concernant l’exposition chronique, on voit un soucis d’avancer. Notamment avec une bonne collaboration avec les recherches en France, ce qui est très pertinent. Néanmoins, on lit ceci : « évaluer le lien éventuel entre l’exposition chronique aux produits phytopharmaceutiques et les effets néfastes sur la santé, par exemple par l’utilisation des données de biosurveillance. » C’est très choquant. Il y a un décalage énorme entre le NAPAN et le NAPED ou le dernier baromètre sur le cancer qui listent de façon claire les effets des pesticides sur la santé et leur coût pour la société. En lisant cet axe, on voit qu’il n’y a pas de lucidité dans le NAPAN sur les effets des pesticides sur la santé.
Proposition :
– Être plus transparent et volontariste dans la communication.
4. Inspection de l’équipement pour l’application de produits phytopharmaceutiques
Ici on propose de contrôler régulièrement les appareils présentant un risque potentiel significatif.
Limite : Ici on continue la même chose que dans le NAPAN précédant. Il n’y a pas d’avancées, comme par exemple l’interdiction des équipements potentiellement dangereux.
Proposition : Sortir du marché les équipements potentiellement les plus dangereux.
5. Annonce préalable des pulvérisations aux personnes potentiellement exposées
Ici, rien de prévu au niveau fédéral.
6. Protection du milieu aquatique
Rappel : le rapport de l’OCDE sur les performances environnementales de la Belgique mentionne que la Belgique « est loin d’avoir atteint le bon état des masses d’eau. L’utilisation intensive des engrais et des pesticides dans l’agriculture est la principale source de pollution. Le pays doit identifier et évaluer les mesures clés pour atteindre les objectifs de qualité de l’eau. »
Limites :
– On nous parle simplement d’évaluer l’impact des plans de réduction… On nous annonce des nouvelles actions si nécessaire. Mais on sait déjà que c’est nécessaire. Les objectifs européens ont changé (biodiversité et farm-to-fork). Pourquoi ne pas anticiper ?
– On envisage aussi une nouvelle politique de zone tampon… pour 2025 : pourquoi si tard ? Et par ailleurs, à nouveau, le langage utilisé est très problématique : « l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des eaux de surface peut comporter des risques pour les organismes aquatiques présents dans les eaux de surface. »
7. Réduction des risques dans des zones ciblées
Il s’agit ici de la protection des groupes vulnérables et de la faune et la flore.
Limites :
– Langage utilisé : On lit que « L’utilisation de produits phytopharmaceutiques sur des parcelles avoisinant des zones habitées peut comporter des risques pour les riverains et les passants » et aussi qu’il y a « des risques possibles » pour les pollinisateurs.
– La responsabilité de la gestion du risque repose sur les utilisateurs : rien n’est prévu en termes d’interdiction d’usage.
– Pas de nouvelles zones tampons prévues, comme autour des écoles, crèches, etc.
Proposition : élargir les zones tampons, notamment autour des crèches et écoles.
8. Manipulation/stockage des produits phytopharmaceutiques et de leur emballage/résidus
Responsabilité uniquement régionale.
9. Lutte intégrée contre les ennemis des cultures (IPM – Integrated Pest Management)
9.1 – Promotion des systèmes à faible apport comme l’IPM et l’agriculture biologique
Il s’agit ici d’accroître la visibilité des produits compatibles avec l’agriculture biologique, faciliter les procédures d’accréditation pour ces produits, et lier le prix des produits phytopharmaceutiques à leur profil de risque (pour la santé humaine et les espèces non ciblées, en particulier les pollinisateurs)
C’est sans doute la mesure la plus intéressante.
Limites :
– Accroître la visibilité : date 2024. Pourquoi si tard ?
– Lier les prix : on se limite à une étude de faisabilité. Je rappelle que le rapport de l’OCDE recommande à la Belgique un système de taxation pour les pesticides. « Instaurer une taxe sur l’utilisation des pesticides fondée sur les risques sanitaires et environnementaux (comme au Danemark) ; accélérer l’élaboration et l’adoption d’une stratégie belge en faveur des pollinisateurs établissant le principe d’une taxation des pesticides fondée sur les risques. »
Recommandation :
– Avancer une stratégie fiscale favorisant l’usage de produits bio au détriment des produits toxiques.
De plus, il est important de souligner que :
1) Rien n’est mentionné sur les exportations
2) Rien n’est mentionné sur dérogations
3) Rien n’est mentionné sur les positions que la Belgique tient et tiendra dans les négociations internationales
4) La consultation publique est tout sauf conviviale et accessible.