Alertée par la société civile (Nature et Progrès et Pesticide Action Network), j’apprends que la Commission européenne soumet une proposition à ses États membres pour interdire l’usage du pesticide Sulfoxaflor en plein air.

Le Sulfoxaflor est un insecticide systémique de type néonicotinoïde qui agit en tant que neurotoxine qui, depuis son autorisation en 2015, est dénoncé par de nombreuses publications scientifiques comme étant toxique sur les abeilles, notamment sur les abeilles sauvages. Cette substance, fabriquée par Corteva, avait par ailleurs été approuvée à l’époque avec obligation de fournir des informations de confirmation deux ans plus tard. Une mise à jour de cet examen par l‘Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en 2020 indique qu’il n’en existe pas d’usage sûr pour les abeilles en extérieur.

J’apprends donc que les négociations sont lancées au sein du comité permanent de la Commission sur les végétaux, animaux, et denrées alimentaires de la Commission. C’est le Ministre de l’agriculture fédéral qui représente la Belgique.

Mr Borsu et Mr Ducarme, prédécesseurs de Mr Clarinval, s’étaient engagés à restreindre l’usage du Sulfoxaflor aux serres permanentes. Toutefois, Mr Clarinval a autorisé son utilisation aux cultures de plein champ en octobre 2020 pour de nombreuses cultures.

Alors, pour en avoir le coeur net, en octobre 2021, j’ai posé une question au Ministre (question 55021848C), pour savoir quelle position tenait-il sur ce dossier. Il m’a répondu que la Belgique ne soutenait pas cette proposition d’interdiction en plein champ, car il la juge trop sévère. Il explique par ailleurs que le Sulfoxaflor serait une alternative moins dangereuse que les néonicotinoïdes. Ce qui est très cocasse puisqu’il continue à donner des dérogations chaque année pour les néonicotinoïdes, pourtant interdits au niveau européen étant très dangereux.

J’ai dès lors alerté directement notre Ministre fédérale de l’environnement, Mme Khattabi, ainsi que nos ministres régionaux (Mme Tellier en Wallonie, et Mr Maron à Bruxelles), et la société civile.

Madame Khattabi s’est donc chargée de rappeller à Mr Clarinval qu’il serait de bon ton de préparer ce type de décision en concertation avec elle, puisque l’impact sur l’environnement est massif. Elle lui demande alors cette concertation.

Cette concertation n’a pas lieu. Néanmoins, la Ministre fédérale fait pression, Mme Tellier et Mr Maron écrivent formellement à Mr Clarinval pour l’enjoindre à voter pour la proposition de la Commission.

Le vote arrive alors à la Commission (en deux temps, un premier fin janvier, et une confirmation écrite le 4 février). Sous pression, mais toujours sans concertation, Mr Clarinval ne vote pas contre la proposition, mais s’abstient. Moins grave, sans doute… Ceci étant, le résultat général du vote ne permet pas à la Commission de recevoir le soutien nécessaire ! 15 pays ont voté pour la proposition, 7 ont voté contre et 5 se sont abstenus (les poids des votes des pays divergent en fonction de leur population).

Que retenir de cela ?

Voici en gros ce que j’ai exprimé lors de ma question du 14 février dernier, durant laquelle le ministre Clarinval a confirmé la situation au parlement.

1) Il est temps que notre politique soit à la hauteur de la crise de la biodiversité à laquelle nous sommes confrontés. Le Resilience Stockolm Center vient d’annoncer qu’on a dépassé une 5e limite planétaire, celle de la pollution chimique, cela devrait nous motiver à sortir des pesticides chimiques. (voir mon article sur le sujet)

2) L’argument du « ce serait  moins pire » que les néonicotinoïdes est embarrassant venant d’un ministre qui donne chaque année des dérogations pour ces pesticides interdits au niveau européen car ils sont trop dangereux !

3) Il est incompréhensible qu’un ministre de l’Agriculture décide seul du positionnement de la Belgique alors que les répercussions sur l’environnement (et dans beaucoup de cas, la santé) sont conséquentes.

4) Notre accord de gouvernement annonce qu’il fondera ses positions sur deux principes : « science-based », et le « principe de précaution ». Dans les deux cas, ce vote n’est pas à la hauteur. Une quantité significative de données scientifiques montre les impacts de ce pesticide sur l’environnement, au point que l’EFSA a tiré la conclusion qu’il n’y a pas d’usage sûr pour les abeilles. L’accord de gouvernement stipule aussi qu’au niveau européen « le Gouvernement fédéral adoptera une attitude ambitieuse en vue de réduire les matières chimiques ». Pourtant, la Belgique se range du côté des pays ayant le moins d’ambitions.

5) Il est particulièrement cynique de développer des stratégies fédérales sur les pollinisateurs et la biodiversité, tout en bloquant une proposition de la Commission qui va dans ce sens (la Commission n’étant pourtant réputée pour être une institution ultra-protectrice de l’environnement).

6) Des alternatives existent à ce types de produits. Voir : https://www.natpro.be/les-alternatives-au-sulfoxaflor-existent-quattendons-nous-pour-en-faire-le-pari/

7) Il y a un soutien massif de la population pour une agriculture respectueuse des abeilles et sans pesticides de synthèse. Pour rappel, à l’automne, l’initiative citoyenne européenne « Sauvez les abeilles et les agriculteurs » a réussi à atteindre plus d’un million de signatures (1,16 millions). Les belges y ont d’ailleurs particulièrement participé.

8) Comme écologiste, je ne suis pas solidaire de ce vote !

Mais terminons sur quatre notes d’espoir :

1) La Pression des ministres verts a permis de passer d’un vote contre à une abstention.

2) A Bruxelles, depuis 2018, tous les pesticides contenant des néonicotinoïdes ou des substances actives similaires sont interdites d’utilisation. Et en Wallonie, Mme Tellier soutient la restriction de l’usage, et poursuivra ses efforts en ce sens.

3) Au fédéral, l’engagement de Mme Khattabi se poursuit pour faire respecter l’accord de gouvernement.

4) La Commission semble avoir annoncé qu’elle porterait le dossier en Comité d’appel.

On en parle dans la presse :

Suite à ma question d’octobre 2021 : https://www.lavenir.net/cnt/dmf20211021_01627815/la-belgique-ne-dira-pas-non-au-tueur-d-abeilles

Suite au vote du 4 février 2022 :

https://www.7sur7.be/ecologie/la-limitation-d-un-pesticide-tueur-d-abeilles-toujours-bloquee-par-les-etats-membres-de-lue-dont-la-belgique~ae816323/?referrer=https%3A%2F%2Fwww.google.com%2F

https://www.lavenir.net/cnt/dmf20220210_01662598/la-limitation-d-un-pesticide-tueur-d-abeilles-toujours-bloquee-par-les-etats-membres

Suite à ma question de février 2022 :

https://m.lavenir.net/cnt/dmf20220215_01664435/la-belgique-ne-s-oppose-pas-au-sulfoxaflor?goto=%2fcnt%2fdmf20220215_01664435%2fla-belgique-ne-s-oppose-pas-au-sulfoxaflor

https://www.lalibre.be/planete/environnement/2022/02/15/le-sulfoxaflor-linsecticide-tueur-dabeilles-qui-divise-leurope-et-la-belgique-AA27K2PZLFF4ZKDSLAZTRCXCOE/