Un PLAN D’ACTION NATIONAL SUR LES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS en cours de consultation publique !

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Un Plan d’Action National sur les Perturbateurs Endocriniens (PEs) a été élaboré et il est en phase de consultation publique. Vous pouvez donner votre avis !

Je vous le présente ici, ainsi que mon analyse de ce plan.

1. Perturbateurs endocriniens : Qu’est-ce que c’est ?

Les perturbateurs endocriniens (PEs) sont définis par l’OMS comme « une substance ou un mélange exogène altérant les fonctions du système endocrinien et induisant des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou au sein de sous-populations ».

En d’autres termes, les perturbateurs endocriniens sont des produits chimiques ou des mélanges de produits chimiques qui ne sont pas produits par notre corps lui-même et qui interfèrent avec le fonctionnement de notre système hormonal, affectant ainsi notre santé (ou celle de nos enfants) en raison de cette interférence.

Leurs impacts sont de mieux en mieux documentés. Une perturbation du système hormonal, en particulier lors de certaines périodes du développement, peut avoir des conséquences irréversibles. Les effets peuvent apparaître directement ou n’être visibles que plusieurs années après l’exposition (après une période de latence).

L’exposition à ces substances a des effets notamment sur le système reproducteur (infertilité, malformations génitales, etc.), le système immunitaire, le développement cérébral (baisse de QI, autisme, …), la croissance, le métabolisme (obésité et diabète), des maladies neurodégénératives (Parkinson Alzheimer, …).

Le dernier baromètre belge sur le Cancer rappelle que « ces substances peuvent être responsables d’un large éventail de types de cancer. Chez la femme, l’exposition à ces substances est associée au cancer du col de l’utérus, des ovaires et du sein et chez l’homme, de la prostate et du testicule). Lien

Le 3 juillet 2013, le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) a émis un avis sur les perturbateurs endocriniens qui montre leurs effets à faible dose, les périodes critiques de sensibilité…

Les PEs ont aussi des impacts financiers. Rien qu’en Europe, les perturbateurs endocriniens ont un coût estimé entre 150 et 200 milliards d’euros par an. On estime que la plupart des coûts sont dus à l’exposition aux pesticides. En Belgique, le coût est estimé à 4,4 milliards d’euros par an. (source : NAPED 2021)

2. Où les trouve-t-on ?

Il faut savoir qu’on ne connaît pas encore tous les PEs. Une liste de 100 substances fait déjà consensus au niveau scientifique (liste qu’on trouve ici ). Malgré cela, aucune liste officielle n’existe encore. Mais les scientifiques alertent qu’une dizaine de milliers de substances sont en réalité concernées.

Ils sont omniprésents dans notre environnement : dans les produits quotidiens (tels que les emballages alimentaires, les cosmétiques, les produits de nettoyage, les textiles, les jouets, les meubles, etc.), dans ce que nous mangeons (dans la viande via les hormones/médicaments administrés et dans les légumes, fruits et céréales via les particules résiduelles de pesticides), dans notre environnement (eau, air, sol), dans des produits pharmaceutiques, dans nos déchets. Nous les absorbons donc par inhalation, par ingestion (alimentation ou succion d’objets par les bébés) ou par contact cutané.

Mais comme ils sont inodores, incolores et insipides, on ne peut pas les repérer. Notre information dépend donc exclusivement de l’étiquetage, qui est souvent incomplet ou incompréhensible.

3. Groupes vulnérables

Tout le monde subit les effets indésirables des PEs, mais les femmes enceintes et les enfants à naître y sont particulièrement sensibles. Même les jeunes enfants et les adolescents ne doivent pas être exposés aux perturbateurs endocriniens, car leur système hormonal est encore en plein développement.

Comme pour beaucoup de produits toxiques, les personnes vulnérables au niveau socio-économiques sont plus exposées au PEs.

4. Que fait l’Europe ?

L’Europe s’est dotée de toute une série de législations visant à limiter les impacts des produits dangereux.

Depuis 2006, le règlement REACH (concernant l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et la restriction des substances chimiques) est en vigueur. Il confère aux produits et aux importateurs de substances nocives la responsabilité de fournir des informations sur les propriétés (et les risques) de leurs produits avant qu’ils ne soient autorisés sur le marché européen.

Il existe aussi depuis 2008 un règlement relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage (CLP) qui vise à fournir un système harmonisé au niveau mondial pour la classification et l’étiquetage des substances chimiques.

Et puis il y a les directives sur les produits cosmétiques, les pesticides, le plastique en contact avec les aliments, les jouets, les déchets, la sécurité des produits…

En fait, depuis 1999 qui a vu une première stratégie communautaire concernant les PEs émerger au niveau européen, toute une série de stratégies ont été votées, dont la réalité est encore peu perceptible. 23 ans après la première réglementation, il n’existe toujours pas de réglementation standardisée sur les perturbateurs endocriniens, alors qu’il est urgent de réduire l’exposition de la population et de l’environnement. La cause n’est pas toujours un manque d’ambition ou de volonté politique, mais se retrouve plutôt du côté d’un grand nombre de groupes d’intérêt et de lobbies qui craignent des dommages économiques dans leur secteur si l’Europe devait opter résolument pour la santé de ses citoyens (le poids des lobbies du secteur industriel a été rappelé en commission par la responsable de l’administration en charge du NAPED).

5. Que fait la Belgique ?

En 2018, sous l’impulsion de la Sénatrice écologiste Petra De Sutter, le Sénat a voté un rapport d’information comportant 72 recommandations sur les perturbateurs endocriniens : il y avait un consensus politique et un ensemble de recommandations pratiques qui visaient tant la sensibilisation/étiquetage/labellisation que la fixation de normes/interdictions/régulation et la recherche scientifique.

Rapport d’information du Sénat sur les perturbateurs endocriniens (23 février 2018)

Au niveau de la Chambre, une résolution Ecolo-Groen relative aux perturbateurs endocriniens a été adoptée en 2019 et formulait 38 demandes au gouvernement fédéral.

6. Le NAPED

Suite au rapport d’information du Sénat, le gouvernement a décidé, en 2019, de lancer le NAPED, dont une première version est désormais disponible pour une consultation publique. Cliquez ici

Outre une introduction, le SPF Santé publique énumère toutes les actions sur lesquelles il travaillera dans les années à venir. Ils le font en trois parties : Prévention – Réglementation – Recherche scientifique.

Des actions intéressantes sont envisagées, qui méritent d’être soutenues.

Il y a cependant beaucoup à dire ! Tant sur le volet sensibilisation que sur le volet régulation. Et cela tombe bien, jusqu’au 14 février, nous pouvons faire part de nos préoccupations concernant la NAPED via ce formulaire en ligne.

J’ai évidemment participé à la consultation, à la fois via le formulaire, et via une audition parlementaire.

Voici en très résumé ce que j’ai pu en dire :

Dans le premier pilier, celui de la prévention, j’ai exprimé les limites que j’y perçois. L’accent est largement mis sur la sensibilisation : du public, des entreprises, des collectivités, etc. Sensibiliser les autorités locales pour limiter l’exposition des populations, réduire l’utilisation des produits contenant des PEs est évidemment très bien, mais il semble assez particulier de demander aux collectivités de se décarcasser pour elles-mêmes et réduire l’utilisation de produits (qui, on le rappelle, sont partout) sans en interdire formellement la mise sur le marché. La sensibilisation du grand public et les publics vulnérables en particulier présente aussi de sérieuses limites. Que fait-on quand on est « sensibilisés » ? Les PEs sont partout. S’en passer nécessite à la fois une charge mentale élevée (tout contrôler, limiter, etc.), des compétences spécifiques et des capacités financières (pour acheter des produits de qualité).

On parle aussi de sensibiliser les acteurs économiques de la chaîne de production. Ici je crains fort que la sensibilisation ne modifiera pas fondamentalement les pratiques. On est constamment confrontés à des entreprises qui fabriquent des produits dont ils connaissent souvent pertinemment le danger. L’auto-régulation des secteurs est trop souvent un vœu pieu. Enfin, on parle de mieux informer les employeurs et les travailleurs. On sait que 13 % des travailleurs Belges sont exposés, au moins un quart du temps, à des produits chimiques. Certains secteurs sont particulièrement touchés, tels que celui de l’entretien ou le broyage des métaux. Et quoi ? Quel est le réel pouvoir des travailleurs pour influer sur leurs conditions de travail ?

En bref, sur ce premier volet, je pense que sensibiliser pour permettre aux consommateurs de faire « un choix éclairé » lors de l’achat de certains produits est à la fois insuffisant et relativement cynique et fait porter illégitimement la responsabilité sur les épaules des citoyens (d’autant que NAPED rappelle que les publics les plus vulnérables sont plus exposés, et on va attendre d’eux des « choix éclairés »).

Concernant le 2e pilier, celui de la régulation, il faut souligner le soucis de voir le niveau européen réellement avancer. Il est envisagé que « la Belgique adoptera une position ambitieuse au niveau européen afin que les PEs présents dans les produits de consommation, et ayant un effet néfaste sur la Santé humaine et/ou l’Environnement, soient progressivement éliminés d’ici 2030. Les PEs présents dans les cosmétiques, les jouets et les matériaux en contact avec les aliments en particulier, et ayant un effet néfaste sur la Santé humaine et/ou l’Environnement, doivent être progressivement éliminés d’ici 2025 ». Si 2030 paraît encore loin, il faut surtout souligner le peu de soucis de réguler le marché belge.

Il est aussi prévu une étude sur la substitution des substances chimiques, notamment les PEs pour promouvoir leur substitution. C’est bien sûr nécessaire !

Mais là encore, sans interdictions, la présence d’alternatives ne sera pas suffisante.

Enfin, il est prévu de renforcer les contrôles à l’exportation et importation. Il faudra aussi interdire l’exportation des futurs produits interdits en Europe (pas comme les pesticides interdits qui sont actuellement massivement exportés).

En bref, en termes de régulation, et surtout d’interdiction, il faudrait donc aller encore plus vite et plus loin ! C’est faisable. Certains pays ont avancé sur leur territoire ! Pour cela, on doit aussi mettre tous nos efforts dans le développement d’alternatives, afin que l’industrie n’ait aucune raison de faire pression parce que ses produits sont « irremplaçables et nécessaires »!

Voilà. Vous aussi, vous pouvez donner votre avis sur ce NAPED, d’ici lundi 14 février !