Article basé sur le travail de veille de la société civile, notamment : Nature et Progrès, Infogm, Corportate Europe Observatory.

I. Quelle actualité ?

La Commission européenne doit rendre le 30 avril prochain un rapport sur la réglementation des OGM obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique. Selon le site Internet de la Commission dédié à cette étude, il s’agit de « clarifier des questions pratiques sur les conséquences de l’arrêt de la CJUE pour les autorités nationales compétentes, l’industrie européenne et en particulier dans le secteur de l’amélioration végétale, de la recherche et au-delà ».

Petit rétroacte :

En juillet 2018, un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) (portant sur les seules nouvelles techniques de mutagénèse) précise que la législation européenne (directive 2001/18) s’applique à tous les produits issus de nouvelles techniques modifiant le génome « d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison » quand elles n’ont pas d’historique d’utilisation sans risque.

Pour rappel, la législation européenne garantit que la culture et la commercialisation d’OGM doit faire l’objet d’une autorisation préalable comprenant une évaluation scientifique des risques.

En novembre 2019, le Conseil (des ministres) de l’Union européenne demande une étude à la Commission qui concerne « le statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l’Union (…) à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice ».

Le 30 avril 2020 a eu lieu un consultation des parties prenantes non étatiques. « Des organisations au niveau européen « qui pourraient être directement ou indirectement touchées et/ou avoir un intérêt potentiel dans les nouvelles techniques de génomique » : on y retrouve au final 107 organisations européennes, qui vont depuis des associations environnementalistes (telles Amis de la Terre Europe, Greenpeace…), jusqu’aux représentants des entreprises de biotechnologie (comme EuropaBio), en passant par des associations de producteurs ou de consommateur ».

Ces 107 organisations n’étaient au départ que 94, sélectionnées par la Commission. Mais plusieurs autres organisations ont finalement réussi à se faire inscrire, notamment après la parution d’un article de l’observatoire européen des entreprises (CEO) qui dénonçait la surreprésentation des entreprises (70 %) au détriment des ONG (12%). CEO soulignait notamment que les entreprises étaient présentes plusieurs fois par différents biais : les entreprises elles-mêmes, mais aussi leur lobby; ou encore, via certains centres publics de recherche en lien très fort avec ces mêmes entreprises privées (par exemple, l’institut flamand de biotechnologie (VIB, à Gand) dont BASF est un des administrateurs).

Source : https://www.infogm.org/7001-nouveaux-ogm-commission-consulte-acteurs-europeens 

Le 30 avril 2020, les Etats membres devaient remettre leur contribution en réponse à un questionnaire de la Commission. Ce questionnaire avait été établi pour collecter des informations sur d’éventuelles réflexions nationales de groupe d’experts, d’éventuelles discussions nationales avec des acteurs industriels ou des organisations de la société civile… La Commission a également questionné les États membres sur des points importants : ont-ils déjà pris des mesures spécifiques pour appliquer leur législation OGM aux nouveaux OGM ? Ont-ils déjà conduit des contrôles pour garantir que tous les produits commercialisés concernés respectent la réglementation (absence d’OGM non déclarés) et que leurs traçabilité en tant qu’OGM soit respectée ? Ont-ils des informations ou retour d’expérience sur une stratégie de traçabilité efficace ? Des essais en champs ont-ils eu lieu ? Des variétés obtenues par ces nouvelles techniques ont-elles été inscrites au catalogue national des variétés végétales (avec des informations spécifiques requises) ? Existe t-il des avantages ou des inconvénients pour la société à utiliser ces nouveaux OGM ? Existe-t-il des avantages ou des risques à breveter ou utiliser ces techniques brevetées ?… Toutes les contributions nationales seront rendues publiques par la Commission mais seulement après la publication de son rapport.

Et donc, le 30 avril 2021, la Commission européenne doit rendre un rapport sur la réglementation des OGM obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique. Selon le site Internet de la Commission dédié à cette étude, il s’agit de « clarifier des questions pratiques sur les conséquences de l’arrêt de la CJUE pour les autorités nationales compétentes, l’industrie européenne et en particulier dans le secteur de l’amélioration végétale, de la recherche et au-delà ».

Et après ?

La Commission affirme ne pas la connaître la suite puisque « l’étude n’étant pas conclue, il est trop tôt (…) pour conclure si une initiative législative aura lieu quant aux nouvelles techniques génomiques ».

En Mai et juin 2021 des discussions avec les États membres sur ce rapport auront lieu. Des conseils Agriculture et Environnement auront lieu les 31 mai, 13-15 juin, 21 juin et les 28-29 juin.

II. Des « nouveaux OGM » : De quoi parlons-nous ?

1. Une première génération d’OGM :

La transgénèse : la première génération d’OGM consistait à ajouter un ou plusieurs gènes d’une autre espèce dans un organisme. La transgénèse consiste donc à transformer le patrimoine génétique d’un organisme par ajout d’un gène provenant d’un autre organisme d’une espèce différente, voire d’un règne différent.

La cisgénèse et l’intragénèse : Lors de la cisgénèse, le gène introduit est, cette fois, de la même espèce mais d’une autre variété au sein de l’espèce. Lors de l’intragénèse, le gène introduit est de la même variété au sein de l’espèce choisie.

Ces méthodes ont des impacts potentiels importants sur l’environnement :

En effet, les gènes ajoutés lors des techniques de transgénèse, de cisgénèse et d’intragénèse vont se mettre n’importe où dans le génome hôte et les « effets hors cible » (effets non intentionnels liés à l’étape de modification génétique en elle-même, appelés hors cible car ils ont lieu ailleurs que sur l’endroit du génome théoriquement ciblé) seront seulement rendus visibles par la suite. Transgénèse, cisgénèse et intragénèse sont donc des méthodes aléatoires sujettes à des effets inattendus de réorganisation du génome.

La trangénèse est réglementée, depuis 20 ans, par la Directive 2001/18.

2. « Nouveaux OGM » ou nouvelles techniques génomiques (édition génétique)

Plusieurs techniques d’édition du génome existent. Notons notamment les techniques dites de mutagénèse dirigée par oligo-nucléotides (ODM), les techniques à nucléases dirigées (SDN), la technique des méganucléases, ou la fameuse technique CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeat)/Cas (la plus utilisée) et son dérivé, le forçage génétique (dont les inventeurs ont reçu le Prix Nobel).

Comment cela fonctionne ? Mutations dirigées et transgénèse en amont

Les nouvelles techniques génèrent ce que l’on appelle des mutations dirigées.

Elles utilisent – pour ce qui concerne le processus ciblé – la technique des ciseaux moléculaires qui coupent l’ADN de la cellule hôte en des endroits choisis. Cet ADN est ensuite réparé par des mécanismes de réparation propres à la cellule, sans (SND1) ou avec (SND2 et SND3) le recours à l’introduction d’un ADN guide étranger fait en éprouvette portant la modification désirée. Il s’agira dans ce cas aussi d’une transgénèse, mais d’une transgénèse ciblée.

Cette étape de réparation de l’ADN hôte donne également lieu à des erreurs génétiques. A ce titre, cette technique doit nous interpeller.

Par ailleurs, en plus des mutations dirigées, de nombreuses techniques d’édition du génome dont la technique CRISPR/Cas ont recours à de la transgénèse aléatoire, en amont du processus ciblé, avec leur cortège d’effets non-intentionnels. Une construction génétique artificielle d’ADN (gène étranger) est introduite pour que la cellule hôte produise elle-même les protéines constitutives des ciseaux moléculaires dirigés, les nucléases dirigées.

Cette étape de transgénèse aléatoire n’est pas mise en avant par les industriels qui y ont recours alors qu’elle relève bien de la Directive 2001/18.

Impact des « nouveaux OGM »

Les nouvelles techniques de manipulation du génome ne sont pas maîtrisées.

Plusieurs études montrent que des erreurs génétiques peuvent engendrer des effets non-intentionnels tels la production de nouvelles toxines, d’allergènes, des altérations de la valeur nutritionnelle, du métabolisme, des impacts non prédictibles sur d’autres organismes y compris l’homme, sur les chaînes alimentaires et les écosystèmes.

Les erreurs génétiques peuvent être « hors cible » ou « sur cible ». CRISPR/Cas génère un nombre particulièrement important d’effets « hors cible ».

Les nouvelles technologies d’édition du génome permettent de réaliser des modifications simultanées ou successives des gènes. Comme plusieurs modifications peuvent être introduites dans une seule plante, le risque est donc fort d’obtenir une quantité plus importante d’effets non-intentionnels.

Les études scientifiques ont montré que les mutations, spontanées ou induites (par procédés chimiques ou physiques), ne se font pas au hasard le long du génome. Il existe des zones qui regroupent des gènes importants pour la survie de l’espèce. La fréquence des mutations y est moins élevée que dans d’autres zones d’ADN. Ces zones, moins sujettes aux mutations, sont en quelque sorte protégées par des barrières de sécurité. Les nouvelles technologies (telles que par exemple CRISPR/Cas) ont la capacité de provoquer des mutations dirigées à tout endroit choisi du génome et contournent donc ce mécanisme naturel de régulation et d’organisation des gènes qui protège certaines zones plus vitales du génome.

Le forçage génétique, dérivé de la technologie CRISPR/Cas contourne les lois de l’hérédité. Il implique, chez tous les descendants forcés, l’acquisition très rapide de traits nouveaux dont la stérilité. Ce forçage génétique peut provoquer l’éradication d’espèces choisies et, en conséquence, l’effondrement d’écosystèmes.

III. Deux grands enjeux politiques : biodiversité et transparence !

1. Ces technologies présentent des risques pour la biodiversité et est inadaptée aux enjeux !

Risque pour la biodiversité :

L’industrie biotechnologique agricole affirme que ces organismes génétiquement modifiés ne portent uniquement que des modifications ciblées, et uniquement que de petites modifications de l’ADN, qui pourraient également survenir naturellement, et ne présentent donc aucun risque. Or, on l’a vu, les modifications génétiques apportées par les nouvelles techniques sont multiples et potentiellement conséquentes : nouvelles toxines et allergènes, des altérations de la valeur nutritionnelle, ou même induire des impacts non prédictibles sur d’autres organismes y compris les êtres humains, sur les chaînes alimentaires et sur les écosystèmes. Nous n’avons pas assez de connaissances des écosystèmes et de leur complexité et risquons de les affecter négativement. Nous savons également que la manière dont les OGM agissent en laboratoire est différente que dans la nature et nous ne pouvons en prédire les impacts.

Le forçage génétique présente donc un risque de modifier, décimer ou éradiquer des populations entières d’organismes sauvages, dont les insectes les plus importants.

Le principe de précaution doit donc nous appeler à la prudence.

Technologies inadaptées aux enjeux :

Les enjeux liés à l’agriculture sont importants : changement climatique, effondrement de la biodiversité, versatilité des prix des matières premières, dépendances des agriculteurs à quelques multinationales semencières, etc.

Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que les nouvelles techniques génomiques contribuent à réduire les impacts négatifs de l’agriculture intensive sur l’environnement et le climat. En effetn l’argument que les OGM permettent de diminuer l’usage d’intrant chimique est faux.

Jusqu’ici, c’est plutôt l’inverse. Les pays ayant fait le choix des technologies OGM ont vu l’usage des pesticides augmenter plus vite qu’ailleurs. Au Brésil par exemple, l’usage des pesticides a augmenté de 200 % entre 2000 et 2010. Les OGM utilisés sont de plus en plus résistants aux herbicides et réclament donc une plus grande utilisation d’herbicides ou d’insecticides et en deviennent davantage dépendant. L’effet désiré est complètement inversé.

Par contre, n’oublions pas qu’il existe des variétés plantes résistantes à la sécheresse issues de la reproduction naturelle.

Dépendance aux multinationales semencières :

Toutes les nouvelles techniques génomiques sont brevetées. Les brevets sur les semences ont des conséquences économiques négatives pour le secteur agricole, notamment la monopolisation et la concentration du marché des semences. En plus d’instaurer un monopole sur ce marché, ces OGM se déplacent et contaminent des filières non-OGM les rendant également dépendantes du monopole existant. Ainsi, les agriculteurs qui n’ont pas acheté ou consenti à l’utilisation de ces OGM voient leurs cultures « contaminées » et se voient obligés, parfois poursuivis par les grandes multinationales, à payer des royalties ou droits d’utilisation de ces OGM pourtant jamais consentis.

Non-respect des droits des consommateurs :

Ces OGM se retrouvent jusque dans la viande vendue au consommateur, les animaux ayant consommé des aliments cultivés à base d’OGM. Pourtant « interdite » en Belgique selon l’AFSCA, les labels « nourri sans OGM » pour les aliments d’origine animale ou « sans OGM » pour les aliments d’origine végétale existent dans d’autres pays d’Europe et permettent d’informer le consommateur sur la nature de ce qu’il consomme et sur l’absence d’OGM cachés. Dans ce dernier cas, les droits des consommateurs à être informé de la nature de la production de leur nourriture, des possibles impacts sur leur santé et leur libre choix de leurs achats ne sont absolument pas respectés.

2. Un manque de transparence dans le débat

Plusieurs observateurs soulignent la place des lobbies sur secteur de la biotechnologie dans le processus de consultation de la Commission.

Au niveau des consultations des « parties prenantes » d’abord où les représentants des biotechnologies ont été particulièrement actifs.

Mais aussi au niveaux des rencontres préparatoires.

A ce titre, on peut épingler par exemple le rôle de l’Epso, l’European Plant Science Organisation, inscrite comme lobby au registre de transparence européen, qui mène plusieurs rencontres au niveau des pays membres.

Au niveau belge, notons par exemple que le VIB (Institut flamand des biotechnologies dont Bayer et BASF sont membres du Conseil d’administration) entreprend de nombreux lien avec le SPF Santé publique (autorité compétente en matière d’OGM).

Corporate Europe Obervatory fait le travail de veille à ce sujet.

On en parle dans la presse :

https://www.lalibre.be/planete/environnement/comment-le-lobby-biotech-s-efforce-de-faire-autoriser-les-nouveaux-ogm-6060c46e7b50a605174c7415

A la lecture de ces travaux, on perçoit qu’une fois encore, les intérêts du secteur des biotechnologies sont en passe d’être plus écoutés et entendus que ceux de l’environnement et de la santé.

IV. Quelle réponse politique ?

1. Engagement du parlement européen : Dans sa résolution de janvier 2020, Parlement européen demande de soutenir un moratoire mondial sur la libération dans l’environnement d’organismes de forçage génétique pour des raisons de précaution au niveau international: « Calls on the Commission and the Member States to call for a global moratorium at the COP15 on releases of gene drive organisms into nature, including field trials, in order to prevent these new technologies from being released prematurely and to uphold the precautionary principle, which is enshrined in the Treaty on the Functioning of the European Union as well as the CBD ».

2. Positionnement des verts européens :

Le groupe des verts relaie l’argumentaire contre l’utilisation d’OGM au Parlement européen. Ainsi dans leur argumentaire nous retrouvons les mêmes points d’attention que nous : augmentation de l’usage des pesticides, l’impact sur la biodiversité, l’impact sur l’agro-écologie et le ralentissement de son développement, …

3. Et mon action dans tout cela ?

Dans l’attente du rapport commandé par la Commission Européenne, j’interpelle les ministres de l’agriculture et de la santé pour qu’un débat public ait lieu sur ces enjeux, avant la position belge sur le rapport européen.

Lors d’un échange en ce mois de mars 2021, le Ministre de l’agriculture m’a confirmé que ces nouveaux OGM tombaient bien dans le champ d’application de la directive du parlement européen 2001/18 et avait dès lors besoin d’une autorisation avant sa mise sur le marché. Quant à la position belge sur le sujet, le Ministre ne veut pas se positionner avant d’avoir les résultats de l’étude commanditée par la Commission européenne et dont les résultats seront publiés fin avril 2021. Plus étonnant, il mentionne n’être au courant d’aucun lobby au bénéfice d’une révision de la législation. Quant au Ministre de la santé, j’ai déjà déposé une question à ce sujet et l’interrogerai en commission prochainement.

J’exigerai encore, dès la sortie du rapport, pour qu’un réel débat public ai lieu sur ce dossier, et que la position belge soit transparente et éclairée.

Enfin, avec mes collègues, nous continuerons à défendre une agriculture durable, respectueuse du climat, de l’environnement, de notre santé, et des agriculteurs, à la hauteur des objectifs européens du Green deal et de la stratégie Farm to Fork.

Mon action est relayée dans la presse :

https://www.lalibre.be/planete/environnement/il-faut-davantage-de-transparence-dans-le-processus-decisionnel-6060af647b50a605174bf950