L’intégrité dans le secteur de la coopération: un enjeu qui mérite mieux qu’une mauvaise proposition de loi

 

Ce 16 juillet 2020, une proposition de loi sur l’intégrité dans le domaine de la coopération au développement, déposée par la NVA, a été débattue et adoptée à la Chambre.

Sur le principe, on ne peut qu’adhérer à cette idée d’intégrité. L’intégrité doit être une valeur centrale de la coopération au développement. Elle doit en être un des piliers. En effet, le secteur de la coopération doit incarner les valeurs de dignité humaine, des droits humains, de bonne gouvernance, de solidarité et d’égalité.

Cependant, après analyse du texte, la mise en pratique du principe d’intégrité dans la proposition de loi pose plusieurs difficultés. Les auditions en commission des acteurs du secteur l’ont d’ailleurs confirmé.

Quelles difficultés cette proposition de loi pose-t-elle?

 

  1. Superposition avec des dispositifs déjà présents

La première difficulté réside dans le fait que la poposition de loi se superpose à des dispositifs déjà existants tant dans la loi que dans les pratiques.

En effet, les socles de l’intégrité se retrouvent déjà dans les lois et arrêtés royaux du secteur de la coopération. De plus, au delà du cadre légal, il faut souligner qu’un dispositif spécifiquement orienté vers l’intégrité a été mis en place depuis 2018 via un partenariat entre le secteur et le Ministre de la coopération, M. De Croo. Ce dispositif prévoit une charte intégrité dans laquelle chacune des organisations confirme son engagement en faveur de l’intégrité, l’instauration ou la mise à jour de codes de conduite dans chaque organisation ainsi que la mise en place de procédures de signalement en cas d’abus, qui arriverait malgré ces procédures de prévention des risques.

Ce dispositif a différents mérites. D’abord, il est ancré dans les réalités des organisations et se base donc sur leurs analyses de risques propres. C’est important car les réalités sont très différentes d’une organisation à l’autre. Par exemple, les prises de risque sont très différentes entre une organisation qui travaille dans le domaine humanitaire et une organisation dont l’activité principale est de faire du plaidoyer politique.

Ensuite, ce dispositif a aussi le mérite d’être construit par les organisations elles-mêmes (avec un système de contrôle par la DGD). Cela fait gagner en capacité de mobilisation de leurs membres et donc d’ownership du dispositif.

En somme, le cadre légal actuel met déjà l’intégrité en première ligne et le secteur, en collaboration avec le ministre, la DGD et les acteurs, s’est déjà donné des outils et des balises claires pour continuer à évoluer en la matière.

En plénière, j’ai donc défendu le fait que l’adoption de cette proposition de loi semble en grande partie inutile de par sa redondance avec le cadre légal en vigueur.

  1. Respect et protection des victimes

La deuxième difficulté concerne le respect et la protection des victimes.

La proposition de loi crée un point de contact central pour les victimes d’abus. Cela pose problème car la proposition ne donne pas de garanties suffisantes en terme de respect de la vie privée des individus et en particulier, des victimes. Et ce, alors que justement, cette proposition de loi affirme avoir pour objectif de porter assistance aux victimes d’abus.

En plus d’être une atteinte à la vie privée de la victime, ce manque de garanties présente le risque de nuire à la sécurité de celle-ci. Par exemple, on ne sait pas comment l’entourage de la victime pourrait faire usage de ces informations. Cela peut se retourner contre la victime.

J’ai donc expliqué en plénière à quel point la proposition de loi semblait dangereuse et contre-productive à cet égard.

  1. Un point de contact central distant et peu visible

La troisième difficulté tient au fait qu’on vise la mise en place d’un point de contact central qui présente au moins deux défauts : il est distant et peu visible.

Les populations qui pourraient être victimes ou témoins d’abus sont très largement peu expertes en matière de montage institutionnel de la coopération. Il faut donc s’attendre à ce qu’un point de contact central ne soit pas réellement identifiable par les victimes et donc pas réellement accessible à celles-ci.

Par ailleurs, la proposition souligne que ce point de contact central existe subsidiairement et parallèlement aux points de contact mis en place au niveau de l’organisation. S’il semble pertinent de garder des points de contact décentralisés – plus proches des communautés –, on ne peut que craindre les difficultés inhérentes à la multiplicité des points de contacts.

En outre, les acteurs de la coopération ont de multiples bailleurs de fonds. Si tous les bailleurs de fonds créaient leur propre point de contact central, la confusion deviendrait alors totale pour les victimes ou les témoins d’abus.

Bref, ce point de contact central qui se veut être neutre et accessible à toutes les parties, ne sera de facto que très peu accessible, car fort peu identifiable pour les parties directement concernées.

Sur ce point, la proposition de loi nous semble donc totalement rater son objectif.

  1. Confusion entre responsabilité individuelle et responsabilité morale d’une organisation

La quatrième difficulté tient au fait qu’il y a une confusion entre la responsabilité individuelle d’une personne se rendant coupable d’un abus et la responsabilité morale de l’organisation qui l’emploie.

En effet, l’article 5 de la proposition de loi mentionne que « Toute violation des obligations de la charte d’intégrité donne à l’État belge le droit de procéder, selon la gravité de la violation, à la suspension immédiate, complète ou partielle, de la liquidation des subventions et à l’extinction de plein droit, complète ou partielle, des engagements s’inscrivant dans le cadre de ces programmes ».

Autrement dit, si un·e employé·e ou un·e volontaire d’une organisation a eu un comportement délictueux, c’est la responsabilité de l’organisation qui sera vérifiée, notamment en matière de mise en œuvre de la charte, et la cas échéant, ses subsides retirés.

Toutefois, rien n’explique clairement comment et qui opérera l’analyse qui sera faite, et à partir de quel moment la responsabilité d’un membre doit retomber sur l’organisation dans son ensemble.

Il nous semble donc que cette proposition soit abusive de jure.

Dès lors, au vu de ces difficultés, le groupe Ecolo/Groen n’a pas pu soutenir la proposition de loi.