Chaque année, le CNCD-11.11.11 publie un rapport sur l’aide belge au développement. Ce rapport analyse tant la quantité de l’aide au développement, que sa qualité et sa cohérence. Il met également ces analyses en miroir avec les tendances observées à l’international.

Je retiens trois constats du rapport 2019.

Quantité de l’aide

Le premier constat concerne la quantité de l’aide. Le rapport 2019 montre que la Belgique reste bien loin de l’objectif international visant à allouer 0,7 % de son revenu national brut (RNB) à l’aide au développement. En 2018, en effet, c’est seulement 0,44 % du RNB qui a été alloué à l’aide au développement (l’OCDE estime même que nous nous situerions plutôt à 0,43 %). Cela place la Belgique sous la moyenne européenne.

Aide fantôme

Le deuxième constat porte sur « l’aide fantôme ». L’aide fantôme regroupe différents montants que l’OCDE accepter de comptabiliser comme de l’aide au développement malgré que ces montants soient investis au Nord et n’arrivent donc pas en cash dans les pays du Sud. Parmi les montants qui constituent l’aide fantôme, l’on retrouve : les allègements de dette, les frais engendrés en termes d’accueil de réfugiés, des coûts administratifs ou des coûts engendrés par l’accueil des étudiants étrangers. Ces montants restaient importants en 2018. Rien que les frais d’accueil des demandeurs d’asile équivalent à 11 % de l’aide publique belge sur notre territoire. Depuis 2015, grâce à l’aide fantôme, la Belgique est devenue la première bénéficiaire de sa propre aide au développement.

Blending

Le troisième constat touche au « blending », ce mécanisme qui permet de soulever des fonds privés par un apport d’argent public. Encouragé depuis 2014, il présente encore des difficultés majeures :

– pas de concentration dans les pays les moins avancés (PMA). D’après l’OCDE, seuls 30 % des fonds privés mobilisés par notre pays leur sont destinés ;
– cet argent public orienté vers le privé est principalement injecté dans des pays émergents ;
– manque de soutien aux entreprises locales ;
– l’aide apportée est dirigée vers des secteurs non prioritaires. Ainsi, l’argent public orienté vers le secteur privé soutient des entreprises européennes – en particulier le secteur extractiviste et des services financiers – plutôt que l’agriculture ou la santé.

Le 15 octobre 2019, j’interrogeais le ministre De Croo au sujet de ces trois constats

1. Quels sont ses pronostics quant au pourcentage de notre RNB alloué à l’aide publique au développement pour cette année? La diminution annoncée sera-t-elle confirmée?

→ Monsieur De Croo m’a répondu que selon les estimations préliminaires, l’APD belge devrait s’élever à 0,42 % du RNB en 2019. Cette baisse serait liée au contexte des affaires courantes. Seulement, au-delà du contexte particulier des affaires courantes pour l’année 2019, force est de constater qu’il y a une tendance à la baisse des investissements en APD qui se confirme d’année en année. Le gouvernement actuel n’a par ailleurs jamais eu la volonté politique de se rapprocher de l’objectif international des 0,7 %.

2. Comment explique-t’il que le blending tel qu’appliqué actuellement ne soit pas orienté uniquement vers le soutien d’entreprises locales actives dans les PMA et, principalement, dans les secteurs prioritaires de la coopération? Pense-t-il possible d’introduire des critères plus stricts à l’octroi de subsides au secteur privé?

→ Le Ministre ne partage pas la lecture du CNCD-11.11.11 selon laquel le blending tel qu’appliqué actuellement est contraire aux objectifs belges de la coopération au développement. J’ai insisté auprès de lui : il est indispensable d’établir des conditions très strictes en termes de priorité des secteurs et en termes d’acteurs pouvant y avoir accès. En matière de développement durable, il ne suffit pas d’appliquer le principe de « ne pas nuire ». Il faut que tout projet de blending ait pour objectif principal de réduire la pauvreté et les inégalités, de contribuer à l’objectif de ne laisser personne de côté et de s’adresser aux personnes particulièrement pauvres ou vulnérables (« Leave no one behind »), de promouvoir les droits des femmes et des filles, et doit être structuré de manière à servir les travailleurs, les PME et les entrepreneurs locaux. Par ailleurs, cette aide doit être déliée (autrement dit, s’assurer que ces subsides ne soient pas utilisés comme subsides à des entreprises belges, ce qui reviendrait à faire passer les intérêts économiques de la Belgique avant les priorités des pays en développement). Ensuite, il faut des assurances en matière de respect des droits humains et des normes environnementales, ainsi qu’en matière de respect des principes de l’efficacité de l’aide au développement. Il existerait encore d’autres critères à développer, c’est un sujet sur lequel j’aurai encore l’occasion d’interpeller le ministre à l’avenir, évidemment.

3. Comment explique-t’il que la Belgique soit l’un des sept pays au monde dont les frais d’accueil des demandeurs d’asile comptabilisés en APD représentent plus de 10 % de leur aide totale? Autrement dit, ces frais d’accueil sont plus élevés que la coopération gouvernementale gérée par Enabel. Est-il envisageable de les extraire du calcul de l’aide publique au développement?

→ Monsieur De Croo souligne que ce sont les critères de calcul de l’OCDE qui font rentrer ces montants en ligne de compte. La Belgique ne fait que suivre les critères dictés par l’OCDE. Effectivement, l’OCDE permet de faire cela. Mais il n’est pas obligatoire de suivre cette logique ! Le Luxembourg, par exemple, a choisi de sortir ce type de frais de son calcul de l’APD. Cette une mesure qui serait importante. Par ailleurs, il faut apporter plus de transparence dans le calcul de l’APD. La Begique pourrait prendre l’initiative de retirer ces frais de ses calculs et pourraient également plaider au sein de l’OCDE afin que la méthode de calcul soit revue en ce sens.